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C’est un scénario familier. L’un des acteurs prédominants de notre industrie publicitaire annonce un changement dans son offre ou dans sa manière d’opérer, et nous devons tous – nous autres acteurs technologiques du digital, éditeurs et annonceurs – en tirer les conséquences pour nos propres modes de fonctionnement. D’abord, c’était le cookie. Puis l’IDFA (l’identifiant pour les annonceurs). L’annonce de l’abandon en 2022 des cookies sur Chrome a en effet été suivie par l’annonce d’Apple selon laquelle la portée de l’identifiant sur application mobile serait également réduite, à charge pour les éditeurs d’application de collecter le consentement pour Apple. Début mars, Google a par ailleurs annoncé qu’il n’intégrerait aucune solution d’ID tierce, et que le ciblage utilisateur dans son environnement ne reposera que sur identifiant propre.
Les deux sociétés, par leur taille et leur situation monopolistique, accélèrent et influent tous deux les tendances de fond de notre industrie publicitaire, impactent nos business models et nos développements technologiques propres, et surtout les standards qui ont permis au marché d’émerger. Si ces décisions se font sous le couvert des évolutions vertueuses de la réglementation, elles n’en sont pas moins univoques et dangereuses pour l’ensemble des autres acteurs. Reste que les nouvelles règles autour du traitement des données personnelles vont s’appliquer, pour les bénéfices des utilisateurs, et remettre au centre des préoccupations de tous les acteurs la relation de confiance qu’ils ont établie avec les internautes.
Dans ce contexte, quelles conséquences pour le spécialiste du marketing « data-driven », celui dont le modèle de business repose sur la collecte de données et des mécanismes de traitement des identifiants dans des environnements opaques et fermés ?
À l’heure où de nombreux acteurs, dont Google, affichent leur volonté de trouver de nouvelles solutions de ciblage utilisateurs dans le respect de la réglementation RGPD, une chose est certaine : nous nous dirigeons vers l’économie du consentement, un modèle marketing où la relation utilisateur reprend toute sa valeur. Autrement dit, les nouvelles solutions de ciblage ne pourront voir le jour que si elles gèrent efficacement et de manière transparente le consentement éclairé et explicite de l’utilisateur, en accordant la priorité à sa vie privée : le suivi granulaire du consommateur ne pourra se faire qu’avec l’accord de ce dernier. Dès lors qu’elles choisiront de concentrer tous leurs investissements sur des stratégies marketing issues du passé, les marques verront de facto leur reach impacté à la baisse : c’est pourquoi certaines directions marketing se tournent d’ores et déjà vers de nouveaux modèles qui permettent d’exploiter toute la puissance des médias traditionnels.
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L’ère de la 1st party data et du ciblage contextuel
Malgré tous les efforts déployés, il est fort probable qu’une part importante des transactions programmatiques devra se passer du tracking des utilisateurs. Nous devons, a minima, nous attendre à ce que, au moins dans les premiers mois qui suivront l’abolition des cookies / IDFA, les solutions alternatives – y compris celle proposée par le géant américain – rencontrent quelques limites techniques dans la mise en place opérationnelle. Le problème du reach perdurera quant à lui au-delà, le consentement de l’utilisateur restant fragmenté.
Pour les marques, pas de catastrophe en vue puisque des alternatives de ciblage existent d’ores et déjà. Parmi celles-ci, le ciblage contextuel sémantique qui permet de tirer profit de l’adéquation entre le contexte éditorial et les messages publicitaires : en 2020, 20 % des transactions de certaines supply-side plateformes (SSP) concernaient un ciblage purement basé sur l’analyse des contenus éditoriaux et un cadre de diffusion qualitatif, permettant à ces acteurs de fournir des performances de campagnes aux annonceurs en maintenant une modélisation des affinités de l’audience suffisante. Ces approches « datascience » remettent au centre la pertinence des contenus de qualité en affinité avec une cible marketing donnée.
D’autre part, certains modèles de transaction spécifiques – tels que Programmatique Garanti (PG) – ne nécessitent pas de partage d’ID pour fonctionner. Reposant sur la volonté – tant du côté des éditeurs que des annonceurs – d’exploiter et d’activer leurs données first party, le PG offre aux marques le contrôle et la transparence dont elles ont tant besoin mais qui leur fait défaut au sein des jardins clos. Cette tendance de fond, qui consiste à privilégier les liens plus directs entre « supply » et « demand », ainsi que le respect des choix de l’utilisateur, laisse entrevoir un partage plus équitable de la valeur dans des écosystèmes plus sécurisés et plus qualitatifs : les « private gardens » des éditeurs. Dans ce contexte, c’est le propriétaire de la relation utilisateur et du consentement qui récolte sa juste part du gâteau, fi des risques de data leakage et de la toxicité des walled gardens.
Alors que les acteurs du marché font face depuis des années à des sociétés ultra-dominantes, le risque existe que les nouvelles mesures de protection de la vie privée profitent à certains acteurs de manière déséquilibrée, en laissant à des acteurs opaques le monopole sur le contrôle des identifiants. Le régulateur l’a bien compris au point qu’il en appelle en Europe à la fin de la publicité ciblée. En mettant en place des modèles plus transparents, c’est aussi l’opportunité pour les autres acteurs de définir ensemble de nouveaux standards.
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Le nouveau modèle d’attribution post-cookie
« Mais dans le monde post-cookie, la modélisation de l’attribution sera beaucoup plus complexe »
Une chose est certaine, le taux d’identification des utilisateurs à l’ère de l’économie du consentement n’atteindra pas l’ampleur qu’il a avec les cookies, l’IDFA et l’ère pré-RGPD. La fragmentation de l’audience, sur des plateformes telles que l’OTT (l’offre hors des fournisseurs d’accès à Internet) et la télévision connectée, constitue aussi un défi supplémentaire. Les propriétaires de la relation utilisateurs, des identifiants et du consentement ont un rôle prépondérant à jouer dans la modélisation de la performance publicitaire et de l’allocation des budgets. Mais dans le monde post-cookie, la modélisation de l’attribution sera beaucoup plus complexe puisque non-déterministe et basée sur des analyses fines de nombreux signaux complémentaires.
Dans ce nouveau contexte, l’attribution de la performance marketing ne fera pas exception et dépendra de notre capacité à organiser et à réconcilier l’utilisation des données first party et données non personnelles – telles que notamment les données contextuelles. Gardons également à l’esprit que les modèles d’attribution actuels ont souvent été construits à partir de données tierces ou dans des environnements fermés, dont la simplicité est trompeuse et la fiabilité est relative. S’il est probable que les data-scientistes jouent un rôle majeur dans ce futur écosystème publicitaire, plus que jamais, il incombe aux éditeurs et à leurs partenaires de prouver la valeur qu’ils génèrent et de démontrer la puissance de leurs marques médias et leur écosystème technologique. Ceci passera par des relations plus directes avec les marques et les acheteurs médias, mais également par un effort collectif de l’ensemble des parties prenantes – et notamment les partenaires technologiques – d’opérer en toute transparence.
L’auteur : Romain Job, Chief Strategy Officer chez Smart. Figure reconnue et expert de l’écosystème adtech, Romain Job occupe actuellement le poste de Chief Strategy Officer de Smart, la plateforme publicitaire indépendante conçue pour rapprocher acheteurs et éditeurs. Diplômé de l’École Centrale de Nantes et de l’IAE Nantes, Romain Job a rejoint Smart en 2007 et y a notamment porté la croissance internationale – en développant les marchés allemands, d’Europe Centrale et de l’Est, et plus récemment des États-Unis. Sa vision globale de l’industrie de la publicité digitale lui procure une importante connaissance de la technologie et une compréhension des enjeux pour l’ensemble des acteurs du secteur.
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