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Pleinement là. Fanny Picard l’est résolument dans sa manière d’être aux autres et à la société. Avec des choix forts et sans détours, elle prend sa part. Diplômée de l’ESSEC, elle débute sa carrière chez Rothschild puis Danone et Wendel. La suite, elle la façonnera à sa manière. Elle sera pionnière. Fanny Picard crée le fonds d’investissement à impact Alter Equity. Radicalement innovant dans son modèle de finance responsable. Avec conviction, avec son sens de la transmission, l’associée fondatrice nous rappelle combien la finance façonne la société et s’avère ainsi fondamentalement politique. Interview.
En quoi la grille de lecture de la finance peut-elle être politique ?
Fanny Picard : En fonction de son activité, de la manière dont elle s’inscrit en lien avec ses salariés, ses consommateurs, ses fournisseurs, ses territoires d’implantation, le fait d’y acquitter ou non ses impôts, l’entreprise entraîne des conséquences majeures sur la collectivité. Lorsque la finance soutient ou non un certain type d’actif ou d’entreprise, elle a un rôle déterminant. Que ce soit par l’action ou à l’inverse de façon passive, l’intervention de la finance est éminemment politique.
Comment cette appréhension politique évolue-t-elle ?
F.P : Jusqu’à récemment, la finance dans les pays développés s’inscrivait dans une vision libérale marquée par l’Ecole de Chicago, considérant que la seule responsabilité de l’entreprise consiste à maximiser ses profits. Cette appréciation est particulièrement forte aux Etats-Unis, où le concept juridique d’obligation fiduciaire oblige les administrateurs à prendre des décisions conformes aux intérêts des actionnaires. En France, par comparaison, l’obligation fiduciaire de nos administrateurs est atténuée. La Loi Pacte, en 2019, a fait évoluer le droit et les mentalités de façon très inspirante, en retenant l’obligation pour l’entreprise de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.
De plus en plus, l’entreprise se fait protagoniste…
F.P : L’évolution est en marche, oui. Même s’il faudrait qu’elle soit encore plus rapide ! Jusqu’à la fin des années 1990, très peu considéraient que l’entreprise porte la responsabilité de contribuer à l’intérêt général. Les libéraux américains considéraient que l’intérêt général serait atteint grâce à la « main invisible du marché ». La culture française assignait à l’Etat cette mission…
Pour Geneviève Férone, que j’ai eu le plaisir d’interviewer récemment à ce sujet, c’est le Sommet de la Terre de Rio en 1992 qui cristallise le point de basculement à cet égard. C’est le moment où les dirigeants politiques et économiques mondiaux commencent à mesurer la gravité des dérèglements climatiques. Dès lors, il devient évident que les entreprises doivent mobiliser leurs meilleurs efforts pour éviter le réchauffement. En pratique, il aura fallu une vingtaine d’années pour faire évoluer les comportements puisque c’est seulement aujourd’hui que la prise de conscience se généralise. La responsabilité de l’entreprise, évidente au regard des enjeux environnementaux, l’est aussi d’un point de vue social et les deux dimensions sont maintenant et opportunément associées.
Comment les entreprises prennent-elles conscience de leur responsabilité ?
F.P : Elles y sont invitées depuis plusieurs années déjà par leurs salariés et leurs consommateurs. De plus en plus, les financeurs posent des conditions en ce sens. La réglementation les y incite également, comme avec la Loi Pacte, ou les Règlements dédiés de l’Union européenne, par exemple le Règlement Taxonomie.
Récemment, j’ai été heureuse de constater que certains dirigeants étaient aussi challengés en ce sens par leurs enfants, vis-à-vis desquels ils se veulent exemplaires !
En parallèle, des associations et des ONG dénoncent l’inaction de certains groupes, ou les impacts négatifs de leurs opérations. La diffusion de ces messages est amplifiée par les réseaux sociaux. Les entreprises anticipent ces campagnes, potentiellement dévastatrices pour leur image.
De quelle manière la finance responsable redonne-t-elle un sens ?
F.P : Le rôle politique de la finance responsable vient décupler le rôle politique de l’entreprise. La finance, ainsi, encourage ou non des comportements valeureux, qui permettent de reprendre confiance dans la construction d’une société durable, inclusive, désirable !
Les comportements responsables de l’entreprise trouvent leur point commun dans le respect de la dignité de chacun. Ce centre trouve des applications dans le temps, dans l’espace, d’un point de vue social comme environnemental.
Les dirigeants ont-ils conscience de cette responsabilité ?
F.P : Cela dépend : c’est une question d’âge, d’éducation et de personnalité. Même si tous ne sont pas engagés dans cette voie, nombreux sont les dirigeants souhaitant assumer cette responsabilité. Beaucoup aussi le font sans le dire. J’espère que les dirigeants de la nouvelle génération seront sélectionnés en intégrant cette dimension !
Comment les dirigeants prennent-ils leur part dans une société plus responsable ?
F.P : Ils prennent leur part en se préoccupant de l’égalité des chances dans leur entreprise, en recrutant des personnes éventuellement objet de discriminations, en travaillant aux biais cognitifs qui forment des freins à la diversité. Ils s’intéressent à la qualité des conditions de travail, au bien-être des équipes, à la formation, au développement professionnel des salariés, au partage de la valeur… D’un point de vue environnemental, il font en sorte que leur entreprise réduise évidemment son empreinte carbone et plus généralement consomme moins, des ressources plus éco-compatibles, pollue moins, réduise son empreinte également en matière de biodiversité, de prédation de ressources non renouvelables…
Ils acceptent aussi un rôle politique vis-à-vis de leurs territoires d’implantation, par exemple sans chercher à échapper à l’impôt.
Qu’est-ce qui vous anime en tant que dirigeante ?
F.P : Ce qui m’anime en premier lieu est l’impact que nous avons avec l’équipe d’Alter Equity en ayant construit il y a presque quinze ans un modèle d’investissement qui était totalement nouveau, au service d’un avenir responsable et heureux. Nous avons été le premier fonds en France et en Europe soutenant des activités et des comportements utiles à l’intérêt à long terme de la nature et des êtres humains tout en recherchant un rendement attractif pour nos souscripteurs. Nous avons également été les premiers à parler de finance à impact en France et en Europe. Des flux financiers toujours plus importants s’orientent vers le modèle que nous avons conçu dans l’investissement non coté. Nous sommes fiers d’avoir ainsi ouvert une voie et de continuer d’inspirer avec des innovations renouvelées vers une économie inclusive, généreuse et durable.
Le bonheur des membres de notre équipe est par ailleurs un objectif majeur pour moi, comme pour de nombreux dirigeants. La satisfaction des entrepreneurs que nous accompagnons est également essentielle. Ils nous disent être fiers que nous soyons leur actionnaire. Cela touche toute notre équipe. Et l’enthousiasme de nos souscripteurs nous porte!
De l’utilité face au dérèglement climatique…
F.P : Aujourd’hui, nous nous inscrivons dans une trajectoire à +4°. Cela signifie que la moitié de la population terrestre ne pourra plus rester en vie dans son lieu d’habitation. Montée des eaux, salinisation des sols, inondations, épidémies, pollution de l’air, manque d’eau et d’aliments… Le chaos serait total. Je rappelle souvent que Henri de Castries, lorsqu’il dirigeait Axa, avait déclaré qu’un monde à +4°C n’était plus assurable. Il nous faut revenir à une trajectoire à +2°C en changeant complètement nos modèles, notre économie, nos transports, notre alimentation et nos habitats. Il faudra une combinaison d’évolution des habitudes des consommateurs, des entreprises et de la finance pour soutenir les entreprises qui seront vertueuses en ce sens. Et des réglementations contraignantes, à l’échelle locale et internationale.
Avec Alter Equity, quel regard sur la finance responsable souhaitez-vous que l’on retienne ?
F.P : Une finance soutenant des entreprises contributrices, utiles au bien commun, à la société, par leur activité ou business model en premier lieu et qui se distinguent en second lieu par des comportements responsables vis-à-vis de leurs salariés, clients, fournisseurs, vis-à-vis de l’environnement et de leurs territoires d’implantation. Le double niveau de responsabilité par l’activité et les comportements ou pratiques de gestion me semble incontournable.
Le concept d’entreprise contributrice intègre l’exigence de limitation de ses externalités négatives, par exemple en termes de pollution, d’impact sur la biodiversité, de précarisation de l’emploi…
En quoi cela induira-t-il un autre rapport au temps ?
F.P : Il s’accélérera. Notre rapport au temps va se transformer parce que le coût du temps insuffisamment actif dans la lutte contre le dérèglement climatique va se démultiplier de façon exponentielle.
Les transitions devront intervenir très rapidement. Pour rester sur une trajectoire de 1,5°à horizon 2100, il faudrait diminuer de 45% les émissions mondiales de CO2 à horizon 2030. Diviser par deux nos émissions ! C’est plus ou moins reproduire chaque année la baisse de 2020 pendant les dix prochaines. Alors que l’économie mondiale a été largement freinée par la crise sanitaire. 1,5° ne semble plus accessible mais il faut tout faire pour plafonner le réchauffement à +2°C. Cela exige de diminuer nos émissions de 3 à 5% chaque année jusqu’en 2030.
Alors que le temps presse, quelles sont vos lueurs d’espoir ?
F.P : La conscience accrue de l’opinion publique et son attente vis-à-vis de l’entreprise pour produire de façon de plus en plus responsable. L’évolution des jeunes, des startuppers, des dirigeants économiques, financiers, politiques, dont les exigences se transforment rapidement. Le retour des Etats-Unis dans les Accords de Paris permet de reprendre espoir dans la possibilité de contenir le dérèglement climatique à 2°C. Même si cet objectif demeure extrêmement ambitieux. Et puis je conserve aussi un espoir dans les découvertes technologiques bien que pour le moment, aucune ne forme de remède miracle à la destruction en cours de l’équilibre de vie humaine sur terre. Et qu’il faut veiller à ne pas retenir cet argument pour se donner bonne conscience sans engager les transformations radicales qui seules permettront de maintenir les conditions sur terre d’un futur agréable. Les entrepreneurs trouvent des solutions et nous sommes heureux, chez Alter Equity, de les accompagner !
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