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Dans les premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, entre le 3 septembre 1939 et l’offensive allemande du 10 mai 1940 sur le théâtre européen du conflit, les hostilités entre belligérants se réduisirent à quelques escarmouches après la modeste offensive de la Sarre. Une période mieux connue sous le nom de « drôle de guerre ».
Huit décennies plus tard, c’est à une « drôle de crise » que nous assistons : une épidémie inédite frappe la population mondiale et fait craindre une asphyxie prochaine de l’économie française. Mais alors que l’on s’attendait à ce que l’année 2020 matérialise déjà cette inquiétude par une avalanche de faillites d’entreprises et une flambée du chômage, ce n’est pas le cas. Une « drôle de crise » donc qui voit l’affaissement de la croissance -le Produit intérieur brut (PIB) est en recul de -8,2% l’an dernier – côtoyer contre toute attente un recul du nombre de défaillances sur un an (-30% par rapport à 2019), un marché de l’emploi qui résiste et même un certain dynamisme de l’investissement productif.
Comment expliquer ces tendances si contre-intuitives sur le plan économique et faut-il en inférer que la crise provoquée par la covid-19 sera finalement moins lourde que ce que les commentateurs avaient commencé à prédire ?
Avec un ralentissement très important d’activité, particulièrement prononcé lors du premier confinement, le nombre d’entreprises faisant l’objet d’une procédure collective aurait dû exploser. Or, il a été ramené à 32 200 sur l’année, soit 20 000 de moins qu’en 2019. De quoi n’y rien comprendre. Un phénomène qui n’a pourtant rien de magique. Il résulte de la combinaison d’une intervention publique très lourde (fonds de solidarité, prêt garanti par l’Etat, chômage partiel…) et de la décision des URSSAF de n’assigner aucune entreprise au tribunal de commerce jusqu’à fin août…
Mêmes constats ou presque sur le front de l’emploi : l’année 2020 s’est même mieux terminée qu’elle n’avait commencé. Au quatrième trimestre, la DARES indique que le taux de chômage (catégorie A) a baissé de -2,7%, là où sur l’ensemble de l’année le chômage, toujours en catégorie A, n’aura finalement augmenté que de +7,5%. Une bonne fin d’année, avec un faible afflux de demandeurs d’emploi, à mettre sur le compte d’une réduction d’activité moindre lors du deuxième confinement et d’une décision publique clé : le recours au chômage partiel, qui aura parfaitement joué son rôle de bouclier.
Dernière bonne nouvelle apparente en forme d’incongruité statistique : l’investissement des entreprises. Avec une chute autour de -9% l’an dernier et qui ne devrait donc être guère supérieure à celle du PIB, il garde un niveau qui a de quoi surprendre. Plusieurs éléments l’expliquent, à commencer par le robinet du crédit, resté largement ouvert depuis le début de la crise. S’y ajoute le fait que beaucoup d’entreprises auront mis à profit cette période difficile pour accélérer leur transformation digitale, tout particulièrement dans l’intention d’augmenter leurs ventes en ligne.
S’arrêter à ces constats reviendrait cependant à s’endormir au pied d’un volcan.
2021 sera une année sanglante pour l’économie française. Le Fonds monétaire international (FMI) a beau avoir relevé ces derniers jours de 0,3 point son estimation pour la croissance mondiale – qui pourrait atteindre +5,3% cette année- la zone euro profitera bien moins de la reprise que les Etats-Unis, la Chine ou encore le Japon.
Comme la plupart des autres Etats -le FMI parie sur 110 en tout qui seraient concernés- la France ne retrouvera pas, loin s’en faut, son niveau d’activité de 2019. Elle ne l’atteindra sans doute pas avant 2022 si ce n’est 2023. Car l’ampleur et le rythme de la reprise souffrent encore de fortes incertitudes, qui touchent autant au calendrier de la vaccination, aux mutations du virus qu’aux plans d’aide gouvernementaux…
Dans un environnement si peu favorable aux affaires, chacun doit prendre conscience que les indicateurs pour l’instant si flatteurs en termes de défaillances d’entreprise, d’investissement et d’emploi expriment davantage un sursis qu’une situation acquise.
Ce qui est à craindre d’abord, c’est que beaucoup d’entreprises viables peinent à tenir jusqu’à la reprise et accusent le coup, compte tenu d’un endettement élevé, au moment précis où celle-ci interviendra.
Rappelons-le une nouvelle fois : la dette des entreprises françaises dépasse désormais les 2 000 milliards d’euros. Une dette non seulement bancaire, mécaniquement accrue par la souscription par un grand nombre d’entre elles d’un prêt garanti par l’Etat (PGE) depuis mars dernier, mais aussi aggravée par les reports de cotisations sociales qu’il faudra bien régler prochainement…
Le Conseil national de la productivité, dans son second rapport consacré à la mesure d’impact de la crise sur la compétitivité et la productivité de l’économie française (janvier 2021), s’en inquiète. Et des voix commencent à s’élever pour demander soit l’effacement de la dette Covid pour les PME viables (de François Asselin pour la CPME jusqu’au financier René Ricol), soit la restructuration de la dette des entreprises. Car échelonner leur remboursement ne sera à l’évidence pas suffisant pour au moins une société de moins de 250 salariés sur cinq.
Un motif d’inquiétude qui plaide aussi pour un recentrage des aides dans les prochains mois pour qu’elles bénéficient en priorité aux entreprises capables de se projeter vers le futur, là où les dispositifs ont surtout visé dans l’urgence à protéger jusqu’à présent le plus grand nombre : 1,9 million de bénéficiaires du fonds de solidarité, par exemple, dont plus de 99% sont des microentreprises.
Autre source majeure de préoccupation: le marché du travail. Derrière les statistiques avantageuses sur l’emploi au dernier trimestre 2020 se cache un risque de dégradation majeur de la courbe du chômage. La remontée probable des défaillances à un niveau élevé, probablement en milieu d’année, va menacer plus de 130 000 emplois selon Altares. D’ores et déjà, le nombre de déclarations d’embauches – signe avant-coureur de la montée du chômage- a commencé à piquer du nez au quatrième trimestre de l’an dernier, avec 4,85 millions, soit -11,2% sur trois mois. Un recul déjà sensible dans les très petites entreprises et marqué dans le secteur tertiaire, plus touché par le second confinement que l’industrie ou le BTP. Autre signal inquiétant : courant janvier 2021, un peu moins d’un jeune sur deux diplômé bac+5 n’avait toujours pas trouvé de travail six mois après sa sortie de l’Université, contre un sur quatre avant la crise.
A l’évidence, les défaillances d’entreprises -encore fragilisées par la dégradation des comportements de paiement (14,4 jours de retard moyen de règlement au troisième trimestre 2020) vont flamber.
Le marché du travail va se tendre bien au-delà de ce qui a été constaté pendant la crise de 2008-2009.
L’investissement pourrait plonger aussi si le taux de marge des entreprises restait durablement affaibli et si aucune solution n’était trouvée pour réduire le fardeau de la dette des TPE-PME.
Autant de perspectives sombres qui plaident non seulement en faveur d’un maintien durable (mais ciblé) des aides en direction des entreprises viables, mais aussi d’une politique d’amplification de l’effort public de relance. Malgré une dette qui pourrait atteindre 122,4% du PIB cette année mais que son coût très faible anesthésie très largement – compte tenu de la faiblesse des intérêts à payer (sans doute autour de 26 milliards d’euros en 2022 contre 45 milliards en 1997, alors que la dette est passée entre cette date et aujourd’hui de 60% à 120% de la richesse nationale)- ce serait une faute politique et économique de ne pas investir massivement dans l’avenir. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) recommande, par exemple, d’ajouter « de l’ordre de 100 milliards d’euros pour les dix ans à venir ». L’Institut Montaigne, connu pour son inspiration libérale, milite également pour une enveloppe de 60 milliards d’euros supplémentaires dans le cadre de la relance.
La vérité est aussi simple que cruelle : le pire est encore devant nous.
La reprise économique s’annonce très inégale et pourrait se traduire par un appauvrissement supplémentaire de l’Europe, plus particulièrement par rapport à la Chine et sans doute les Etats-Unis.
Se rassurer avec des statistiques qui n’ont pas encore révélé leur vraie inclinaison de crise serait dangereux et très largement illusoire. La « drôle de crise » est comme la « drôle de guerre » : elle produit tous ses effets comme une bombe à retardement, et avec un effet de souffle qui sera puissant.
Notre pays n’a pas d’autre choix possible que de regarder lucidement ce qui va advenir, probablement dès la fin du printemps 2021 : une montée forte des défaillances d’entreprises et du chômage.
Son gouvernement se doit donc de poursuivre ses efforts pour alléger le fardeau des entreprises, des entrepreneurs qui les pilotent et des salariés, déjà touchées dans leur santé financière pour les unes mais aussi de plus en plus dans leur bien-être psychologique pour les autres.
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