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Chaque jour, à 20 heures tapantes, les fenêtres s’ouvrent et une vague de gratitude envahit les rues pour remercier le travail acharné du personnel soignant face à la crise sanitaire sans précédent que nous affrontons. Nouveau rituel national, affiches disposées dans les villes, pétitions partagées massivement, chansons dédiées, et même une série courte, “Merci”, pour conter l’importance sociale de la gratitude. C’est en pleine crise que le monde semble avoir redécouvert l’importance et le pouvoir de la reconnaissance.
Ce qui pouvait être considéré comme niais, futile et non prioritaire dans le monde professionnel, prend soudainement une dimension stratégique en période de récession et de confinement. Quand la vie – de ses proches comme de son entreprise – dépend de l’investissement et du bien-être des travailleurs, on comprend plus aisément l’importance de les reconnaître. Il faut concéder un aspect positif au covid-19 : celui de nous forcer à revoir ce qui compte vraiment au travail.
L’entreprise en déficit d’amour
“Ce qui compte vraiment” ’est d’ailleurs un ouvrage de Gary Hamel dans lequel il dresse les cinq défis fondamentaux que toute entreprise devrait considérer comme prioritaires : les valeurs, l’innovation, l’adaptabilité, la passion et la philosophie managériale. Nul doute qu’en cette période de confinement, qui met notre gestion de l’imprévisible à l’épreuve et nous bascule de force dans un monde numérique, ces principes nous parlent.
Ce professeur de management, qui brille par sa capacité à challenger notre culture managériale avec humour et vision, nous demande si finalement nos entreprises n’auraient pas…un déficit d’amour. Il note en effet que, si nous nous accordons sur le fait que des mots comme “amour”, “dévouement” et “honneur” constituent des idéaux qui comptent le plus pour les être humains, ils demeurent absents du discours managérial.
Ce que pointe Hamel, c’est que nous sommes tout à fait d’accord pour accepter l’idée d’une entreprise attachée à des valeurs humaines intemporelles mais que nous refusons de nous en faire les avocats dans notre propre organisation. D’après lui, la vie en entreprise est tellement mécanique et banale que toute initiative visant à y injecter un peu d’humanité paraît déplacée et fait l’effet de « lire la Bible dans un bordel ».
Un management barrière
Valérie Giscard D’Estaing : Que regrettez-vous de n’être parvenu à changer ?
François Mitterrand : L’entreprise. Je n’ai pas réussi à la changer. Les rapports restent beaucoup trop hiérarchiques, distants.
Déjà en 1995, Valéry Giscard d’Estaing – dans son ouvrage “Le Pouvoir et la vie” – partageait l’entretien qu’il avait eu avec François Mitterrand et le regret que ce dernier avait formulé de ne pas avoir su créer plus de lien et de proximité dans l’entreprise.
Car la France est une grande adepte du management directif – dans lequel le manager a tous les pouvoirs de décisions – mais aussi de la “Power Distance”5. Ce concept étudié par le psychologue Geert Hofstede indique que plus la distance hiérarchique est importante, plus le degré d’inégalité entre soi et son patron est accepté. Conséquence de ce mode relationnel ? Les salariés se désengagent… “Près de la moitié des salariés interrogés déclarent avoir intentionnellement réduit leur effort de travail et le temps passé au bureau et 78% ont déclaré que leur engagement envers l’entreprise a reculé” nous indique la Harvard Business Review. Rappelons que l’Hexagone a l’un des taux d’engagement des salariés le plus bas au monde, inversement à sa force de travail. Si les salariés Français sont parmi les plus productifs, ils sont seulement 6% à se dire enthousiasmés par leur emploi et leur entreprise.
Vers une économie de la considération
Et pourtant les entreprises Françaises ont tout intérêt à gagner en humanité et à veiller aux relations qu’elle entretient avec l’ensemble de leurs parties prenantes. Défiance, désengagement et infidélité, le manque de reconnaissance et de proximité avec ses consommateurs provoquent les mêmes symptômes que lorsque ses salariés ne se sentent pas écoutés et considérés.
Les chercheurs et universitaires anticipent ainsi une “économie du care” , de la “bienveillance” et de la “gratitude”, et le cabinet Roland Berger et Club Med annoncent une nouvelle ère économique : celle de la considération. Une époque où “le client est considéré comme une personne avec son système de valeurs, ancrée dans une communauté”. Une phase qui prend le pas sur l’ère industrielle, l’âge de l’information et dernièrement le règne de l’individu.
Place au RIB, Reconnaissance Intérieure Brute
Dans l’économie de la considération, la RIB – Reconnaissance Intérieure Brute – pourrait prendre le pas sur le PIB. Car la création de valeur ne provient plus de la production mais de la qualité de la relation que l’entreprise entretient avec ses parties prenantes pour créer plus d’attachement.
On connaissait “Savoir aimer” de Florent Pagny, dans cette nouvelle ère économique, il faudra savoir reconnaître, même sans rien attendre en retour. Valoriser les hôtes qui font preuve d’une hospitalité exceptionnelle avec un programme inspiré du ‘gaming’ comme Airbnb, mettre à disposition un système de reconnaissance des comportements vertueux entre collègues chez Safran11, proposer aux coureurs à fort potentiel de sa communauté un accompagnement nutritionnel et sportif par des coachs de renom pour Adidas, ou inviter ses clients et salariés à siéger à son CODIR comme Club Med. Autant d’initiatives qui peuvent devenir des avantages compétitifs majeurs.
Une considération stratégique
Un point d’alerte cependant. Réinjecter plus d’humanité dans l’entreprise, en plein confinement, au cœur de la vague “entreprise à mission”, cela reste un discours facile à entendre et à porter. Mais l’entreprise doit prendre le sujet à bras le corps et l’envisager comme un choix stratégique. La reconnaissance est la mémoire du cœur, elle ne doit pas devenir une approche marketing séduisante.
Xavier Mufraggi, DG Europe de Club Med prévient la nécessité d’un “engagement culturel total qui transforme les entreprises en profondeur.” Leur rapport le pointe déjà : si les entreprises commencent à lancer des initiatives portées sur les piliers de la reconnaissance, elles ne sont que 2% à l’adresser à leurs salariés, 14% à la société, contre 57% envers leur client.
L’économie de la considération appelle à une approche holistique, les applaudissements qui inonderont les rues ce soir nous le rappelleront à nouveau. Le temps de la reconnaissance a sonné. Et les entreprises qui ne l’ont pas anticipé risquent d’être bien moins armées pour faire face à la récession qui s’annonce et qui va demander beaucoup d’amour et d’engagement de la part de leurs salariés, de leurs consommateurs et de la société.
Faustine Duriez est la fondatrice de Cocoworker
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