[ad_1]
« Les deux qui descendent la passerelle, tu les dégages! » Nous sommes le mardi 29 juillet, au creux d’un chaud après-midi parisien, et un réalisateur essaie tant bien que mal de boucler sa scène. Devant sa caméra, posée sur l’esplanade de l’université Paris-Diderot, une Porsche grise doit glisser silencieusement le long d’une allée où se promènent quelques figurants. Mais voilà : juste avant de dire « action », des étudiants en droit sortant de leur amphi envahissent l’espace. Une fois ces gêneurs écartés, ce sont des skateurs de passage qui font trop de bruit. Au bout de la septième prise, c’est dans la boîte.
Ce tournage, c’est celui d' »Osmosis », l’histoire futuriste de deux amoureux réunis par un algorithme , le prochain programme original de Netflix, en français, après Marseille. Lancé depuis quatre ans en France, le service de vidéo à la demande par Internet a déjà conquis chez nous 3,5 millions d’abonnés (chiffre officieux qu’il refuse de confirmer). Une percée considérable, au nez de Canal+ et des chaînes traditionnelles. Mais, jusqu’ici, il doit surtout son succès à ses opus américains et veut désormais « franciser » son catalogue pour séduire un public toujours plus large, prêt à payer 8 euros par mois pour des séries, films ou documentaires exclusifs.
L’offensive est lourde. « Nous allons dépenser 1 milliard d’euros en 2018, juste pour la production de séries européennes », assure Yann Lafargue, son porte-parole basé à Amsterdam, où 200 employés travaillent – car Netflix n’a aucun salarié en France. Amazon, son principal rival, doté d’un service baptisé Prime Video, se met, lui aussi, à produire des séries originales en français. Avec les mêmes tactiques mais un train de retard.
>> A lire aussi – Depardieu, Nathalie Baye, Kev Adams… leurs jolis cachets dans les séries télé
Il s’agit d’abord de capturer les meilleurs scénaristes. Netflix a les moyens de les convaincre. Premier en France à signer, l’auteur Dan Franck a reçu 450.000 euros pour écrire la première saison de Marseille. Netflix est prêt à payer très cher pour obtenir des contrats d’exclusivité. Shonda Rhimes, la créatrice de Grey’s Anatomy, a conclu un pacte à 300 millions de dollars pour que tous ses projets atterrissent sur Netflix (elle en a sept en cours de développement ). Même chose en France, où de nombreux scénaristes ont été approchés. « Netflix est à l’attaque, c’est un choc culturel par rapport aux chaînes, qui attendent les projets », confirme Pauline Rocafull, présidente de la Guilde française des scénaristes. « Osmosis » est ainsi pilotée par Audrey Fouché, remarquée pour « Borgia » et « Les Revenants ». « Le contrat qui me lie actuellement à Netflix ne me permet pas de m’exprimer », nous fait-elle savoir. De son côté, Amazon tâtonne encore.
Ces auteurs chevronnés doivent flatter une cible en particulier: les jeunes, qui désertent la télévision – l’âge moyen du téléspectateur français est de 52 ans. Erik Barmack, responsable des contenus internationaux de Netflix, l’a dit clairement à un de nos producteurs: « En France, la télévision cible les vieux, nous, on va s’occuper des 15-35 ans ». Un scénariste en vue, lui aussi approché par la plate-forme, confirme: « Netflix parle aux populations ‘underserved’ (sous-alimentées), selon leur expression: les jeunes et les minorités. »
>> A lire aussi – Youtube se lance dans les séries françaises
Les projets en cours de développement pour la France le confirment. « Mortel » racontera l’histoire d’ados se découvrant des superpouvoirs. Plan cœur, série comique déjà tournée, montrera une bande de copines qui embauchent un escort boy pour leur amie, célibataire endurcie. Des scripts peu probables à la télé… Pour Pauline Rocafull, « cette audace est permise par leur envergure internationale: chez eux, un programme a priori de niche pourra trouver un large public ».
Pour fabriquer ces séries, là encore, la méthode Netflix décoiffe. Alors que France Télévisions, par exemple, lance dix écritures de séries pour n’en retenir que trois et traîne parfois dans la relecture des scénarios, Netflix s’engage très vite sur une ébauche de projet qui lui plaît et demande que tout soit bouclé à une date ferme. Dan Franck s’en souvient: « Ils sont incroyablement réactifs, j’envoyais mes scénarios en français à Los Angeles et, 48 heures après, j’avais un retour. »
>> A lire aussi – “Bureau des légendes“, “Chefs“… comment les séries françaises se rapprochent des standards américains
Cette rapidité engendre de gros coups de pression. Dans le cas d' »Osmosis », Netflix a demandé aux scénaristes de revoir leur copie en catastrophe juste avant le tournage de cet été… pour une date de rendu inchangée, fixée au mois de janvier 2019. « Tout va beaucoup plus vite qu’habituellement, on s’adapte », admet la productrice Aude Albano, de Capa Drama.
Pour ce qui est des coûts de production, Netflix ne fait pas de folies: ses projets français se situent autour de 1 million d’euros par épisode, dans la norme des séries ambitieuses de Canal+ ou de France Télévisions. Les producteurs s’y retrouvent-ils? Oui et non. Selon un connaisseur, « ils financent à hauteur de 110%, voire 120% du budget réel, ce qui fait une marge immédiate pour le producteur… mais en échange d’un abandon total des droits mondiaux pendant dix ans ». Or les producteurs font surtout leurs marges avec les ventes aux chaînes internationales.
Si les séries originales sont le meilleur argument pour attirer les abonnés, Netflix enrichit aussi son catalogue en rachetant les droits de diffusion de séries existantes comme « Zone blanche » ou « Dix pour cent » (France 2), tandis qu’Amazon diffuse le feuilleton de TF1 « Demain nous appartient », ou le récent documentaire sur la victoire des Bleus au Mondial.
>> A lire aussi – « Demain nous appartient », « Un si grand soleil » : l’énorme pari de TF1 et France 2
Mais les chaînes n’y trouvent guère leur compte. « Contre un abandon des droits mondiaux, Netflix paie parfois 5000 euros l’épisode, ce qui n’est pas grand-chose », confie un producteur. Autre pratique qui fait râler, cette tendance de la plateforme à s’approprier des séries pourtant créées pour la télé, en supprimant leur nom dans les génériques. « Un logo Arte n’apporte rien au spectateur », estime le porte-parole européen. Pas très fair-play…
La recette Netlix à la française
1 > Marseille, son premier coup d’essai. Première série Netflix réalisée en France, en 2016, Marseille était surtout destinée à marquer les esprits et à affirmer sa présence. Avec son gros budget et Gérard Depardieu dans le rôle principal, elle était censée devenir un House of Cards français. Les critiques n’ont pas aimé, mais elle se serait bien exportée.
2 > Un marketing local pour les blockbusters. Netflix compte beaucoup sur le bouche-à-oreille, mais adopte aussi une communication traditionnelle pour promouvoir ses blockbusters : les acteurs de « Stranger Things » sont ainsi passés chez Yann Barthès dans « Quotidien », et la série espagnole La Casa de papel a eu droit à une campagne d’affichage.
3 > Des séries télévisées en rediffusion. Netflix acquiert les droits de diffusion de séries déjà passées sur TF1, France Télévisions ou M6, qui plaisent bien sûr au public français, mais pas seulement. La Mante, série de TF1 avec Carole Bouquet dans le rôle d’une tueuse, a bien marché aux Etats-Unis. Tout comme Dix pour cent, rebaptisée Call My Agent.
4 > Des œuvres ciblant les jeunes. Le cœur de cible de Netflix reste les moins de 35 ans, jugés délaissés par les chaînes de télévision. La série Osmosis, située dans un futur proche, racontera ainsi comment un algorithme garantit de trouver l’âme sœur, et la comédie romantique Plan cœur mettra en scène des actrices trentenaires.
5 > Des documentaires grand public. Netflix a produit une série de témoignages sur les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Un programme est aussi en préparation sur l’affaire Grégory. Le propriétaire de la maison des Villemin a d’ailleurs récemment abattu à la carabine un drone de tournage survolant son terrain. Il ne sera pas poursuivi.
6 > Des spectacles d’humoristes en exclusivité. Le one-man-show de Gad Elmaleh aux Etats-Unis, celui de Dany Boon ou de l’humoriste branché Fary… Ces captations ont l’avantage de séduire un public très large. Le partenariat va parfois plus loin : Gad Elmaleh développe une série pour Netflix, et Dany Boon figurera dans un film américain, avec Jennifer Aniston.
>> A lire aussi – « Netflix Sans » n’est pas une série mais va faire gagner des millions à Netflix
Pour sa première série française originale, Amazon mise sur les scénaristes des ch’tis
Amazon est d’abord un e-commerçant, mais il marche aussi sur les platesbandes de Netflix avec son service de streaming Prime Video. Seuls les abonnés à son programme de livraison rapide, qui paient 49 euros par an, en bénéficient. Aucun chiffre ne filtre sur le nombre réel de curieux, mais Prime Video souffre de l’absence de gros succès à son catalogue. Amazon veut y remédier avec sa nouvelle série d’espionnage, Jack Ryan. Et prévoit une adaptation monumentale du Seigneur des anneaux, dont les droits ont été arrachés pour 250 millions de dollars.
En France, de multiples projets ont été présentés, puis écartés, et le responsable de Prime Video France, Eric Bergaglia, vient de quitter le navire. Une seule série est pour l’instant annoncée, Deustch-les-Landes, coécrite par les scénaristes de Bienvenue chez les Ch’tis, Alexandre Charlot et Franck Magnier. Marie-Anne Chazel et Sylvie Testud seront au casting de cette production franco-allemande, dont la diffusion est prévue cet hiver.
VIDEO: Voici pourquoi beaucoup de gens commandent du jus de tomate en avion
[ad_2]
Yalayolo Magazine