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«L’entrepreneuriat m’a choisi. C’est un mode de vie qui colle avec ce que je suis ». Nour Allazkani a créé son auto-entreprise spécialisée en informatique en janvier 2016. Pour ce Syrien de 24 ans arrivé en France dès l’été 2014, créer sa boîte est très vite devenu une évidence : « J’étais freelance dans mon pays, j’avais déjà cette fibre entrepreneuriale. » Quand le conflit en Syrie éclate, le jeune homme quitte son pays pour se rendre au Liban avec la ferme intention de reprendre ses études. « La situation étant trop compliquée, je suis allé en France où vivait l’une de mes tantes », raconte-t-il. Au bout d’un an et demi, Nour Allazkani obtient sa carte de séjour et fait son entrée sur les bancs de l’université lors de la rentrée 2015. Il confie : « J’ai malheureusement arrêté quelques mois plus tard avec l’arrivée de ma famille. Je devais aider mes proches dans leurs démarches administratives. Alors, pour vivre, j’ai lancé ma propre entreprise dont les spécialités sont la création de site web, la maintenance et la gestion de réseaux. L’entrepreneuriat ne me faisait pas peur. Je m’étais déjà constitué un petit réseau grâce au bouche-à-oreille en proposant des réparations informatiques. »
Comme Nour Allazkani, de nombreux hommes et femmes ayant fui leur pays finissent par emprunter la voie de l’entrepreneuriat. « Selon l’une de nos enquêtes, 36% d’entre eux étaient déjà entrepreneurs dans leur pays, explique l’entrepreneure sociale Alice Barbe. Au contraire, 36% n’étaient pas du tout familiers avec ce secteur. Leur point commun reste cette frugalité liée à l’exil : quand on a tout perdu, l’entrepreneuriat ne fait pas peur ». À la tête de l’association Singa France, Alice Barbe accompagne depuis 2012 les projets innovants qui cherchent à enrichir la migration, l’occasion de faire le pont entre les personnes réfugiées et leur société d’accueil. Depuis 2016, 400 emplois ont ainsi été créés. « Une fierté » pour la cofondatrice de Singa qui entendait via son association permettre à chacun de se réapproprier sa culture tout comme ses talents.
C’est comme cela qu’est née la startup de Lucie Rwakana Umukundwa : Izuba Gallery, un e-shop dédiée à l’art africain. Menacée par son activité de journaliste au Rwanda, elle s’exile en France en 2006. Après plusieurs années de « petits boulots » et de collaborations avec des médias internationaux, Lucie Rwakana Umukundwa décide finalement de monter son business. « J’ai été correspondante pour France Télévisions en Ouganda de 2012 à 2014. Et là c’est la prise de conscience ! Je décide d’arrêter le journalisme pour me lancer dans l’entrepreneuriat social. Mon projet ? Promouvoir l’art et l’artisanat africain », retrace la startuppeuse. Pour y parvenir, la quadragénaire participe aux formations de l’incubateur parisien de Singa. A la clé : un accompagnement individualisé, des mentors et un solide réseau professionnel. « Cela a été un coup de pouce », concède Lucie Rwakana Umukundwa qui espère, via son commerce, tisser des liens entre l’Afrique et l’Europe tout en créant des emplois sur place.
Des obstacles qui s’additionnent
L’entrepreneuriat, une voie qui favorise l’intégration ? Sur ce point, la directrice de Singa reste très vigilante. Elle tempère : « Cela n’est pas forcément la solution. Quand on est en exil, les démarches administratives pour être régularisé prennent déjà du temps. Après, il faut aussi se remettre psychologiquement, trouver un logement… Force est de constater que la priorité n’est pas l’aventure entrepreneuriale. » Même son de cloche chez Joséphine Goube, CEO de la startup Techfugees dont l’objectif est de faciliter l’intégration des réfugiés via la tech. « C’est une voie parfois plus subie qu’autre chose. Le phénomène autour de l’entrepreneuriat des réfugiés peut s’expliquer par leur rejet sur le marché du travail, du fait notamment de la non-reconnaissance de leurs diplômes. »
De son côté, Théo Scubla, cofondateur de Wintegreat (une ONG qui contribue à l’insertion sociale et professionnelle d’étudiants réfugiés) déconseille de franchir le cap trop tôt. « À court terme, les barrières de la langue sont encore trop visibles. De plus, le statut du nouvel arrivant est souvent précaire, l’état psychologique parfois fragile. Je pense qu’il faut d’abord recréer son réseau et retrouver une stabilité financière avant s’engager dans l’entrepreneuriat », explique-t-il. Pour autant, Théo Scubla comprend très bien la motivation de certains : « 8% des participants des programmes Tremplin que propose Wintegreat souhaitent entreprendre. J’observe qu’il s’agit, la plupart du temps, d’anciens CEO, de médecins ou d’avocats qui cherchent à éviter le déclassement que peut engendrer l’exil et préfèrent se reconvertir. »
Reste qu’une fois le projet amorcé, la route s’avère être une nouvelle fois semée d’embûches. « Ce serait un miroir aux alouettes de dire qu’on est tous égaux devant l’entrepreneuriat. Il ne faut pas oublier que certains arrivent avec une famille à faire vivre », rappelle Joséphine Goube. Nour Allazkani le confirme : il n’y a pas la place à l’échec. « Aujourd’hui, je vis de mon activité et tant mieux. J’aime la liberté et la prise de risque qu’implique la vie d’entrepreneur. La routine, le salariat… ce n’était pas fait pour moi. En revanche, psychologiquement, l’idée comme quoi je ne dois surtout pas échouer n’est pas toujours simple à gérer. » Tandis que le jeune homme poursuit le développement de son entreprise et collabore en même temps avec le Lab’R de la DiAir (Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés) sur un projet de plateforme numérique à destination des personnes réfugiées, il met en garde : « Avant de se lancer, il faut d’abord maîtriser la langue, comprendre le système administratif et être conscient qu’il y a un risque de précarité. »
La nécessité de faire fondre les « étiquettes »
À cela s’ajoute la difficulté de financer son projet. Lucie Rwakana Umukundwa n’a pour le moment jamais réussi à obtenir de crédit bancaire, faute de garants. L’entrepreneure rwandaise se désole : « Déjà que ce n’est pas simple pour les startuppeurs français alors imaginez pour une réfugiée ». Avant d’ajouter : « Au Rwanda, les investisseurs accordent beaucoup plus leur confiance aux femmes. J’ai été surprise de voir l’inverse en France où le fait d’être une femme noire a plus été un frein. Mais je ne vais pas abandonner ! »
Quelle solution pour ces entrepreneurs ? « On a parmi les personnes réfugiées un pool d’entrepreneurs en puissance incroyable. Mais avant de le devenir, il est indispensable qu’ils deviennent entrepreneurs de leur vie », affirme Théo Scubla. C’est pourquoi, via sa startup Wintegreat, ce dernier propose d’une part un accompagnement pour lever les barrières de la langue grâce à l’apprentissage du français et de l’anglais ; d’autre part, la création de relations sociales durables grâce à un système de parrainage mis en place avec des étudiants et chefs d’entreprises volontaires. A l’instar de Théo Scubla, nombreux sont les locaux qui entreprennent à destination des personnes réfugiées. Certains sont même parvenus à leur créer des emplois. C’est le cas de la startup de service-traiteur Meet my Mama qui emploie des femmes issues de la migration pour cuisiner leurs plats traditionnels, ou la plateforme solidaire Natakallam qui met en relation ses utilisateurs avec des personnes réfugiées pour apprendre l’arabe.
Quant à Alice Barbe, elle se bat pour faire fondre les étiquettes qui renvoient constamment les réfugiés à leur statut et qui peuvent in fine entraver leur potentiel. « Leur statut, ce n’est qu’un papier. Ce sont des entrepreneurs avant même d’être réfugiés et cette vision change la donne. » Preuve que l’inclusion passe par des détails tout sauf anodins.
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Yalayolo Magazine