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Assez des projections culpabilisantes sur l’origine du cancer. En praticienne et experte du sujet, la psycho-oncologue Valérie Sugg, auteure de « Cancer : l’accompagnement », entend corriger les principales idées reçues.
En tant que psychologue ayant travaillé vingt ans dans un service de cancérologie hospitalier, l’une des questions récurrentes posée au début de tout entretien est de savoir si un choc psychologique peut être à l’origine du cancer.
A l’annonce d’un cancer, parfois encore face au médecin qui vient d’expliquer le diagnostic, la première question que chacun se pose souvent c’est “Pourquoi ? Pourquoi moi ?” et “pourquoi ça ?” parce que, particulièrement en Occident, on a besoin de donner du sens à ce qui nous arrive. Nous ne sommes pas capables de nous dire que cela est. Point. Non, notre esprit est assez complexe. Le plus souvent, chacun se lance dans une enquête intérieure en espérant trouver le coupable.
Déni de la logique et des preuves scientifiques
Il est bien évident que certains facteurs sont à prendre en compte dans l’émergence d’un cancer comme les contacts avec des polluants de toutes sortes, certains comportements (addictions à l’alcool, cigarette etc.), le surpoids, le vieillissement, le fait d’être porteur ou non d’une mutation génétique, l’histoire familiale héréditaire ou non, parfois lors d’une greffe d’organe, du fait de certains virus et bactéries comme le papillomavirus, etc…
L’ensemble de ces facteurs est essentiel mais n’explique pas forcément l’existence de cancers de certains nourrissons ou enfants, parfois hélas aussi touchés par ces maladies. Il est alors tentant de basculer dans le tout psychologique tant de la part des personnes malades que de leur entourage aussi ! On entend souvent des propos et interprétations surprenantes, comme par exemple pour une patiente à qui ses sœurs ont dit à propos de son cancer du sein : “ le sein c’est la féminité, tu vois, tu t’engueules tout le temps avec ton mari, c’est pas étonnant que t’aies ce cancer, sois plus gentille avec lui“, ou “Tu es sûre que tu les voulais tes deux enfants parce que le sein c’est la maternité avant tout…“. Une autre malade qui avait une tumeur au cerveau m’a raconté comment ses copines ont réagi à l’annonce de son cancer : “Faut que tu arrêtes de te prendre la tête, tu te fais du mal. … Tu stresses trop c’est pour ça“, ou à ce monsieur à qui ses potes ont dit : “Ton cancer de la prostate, t’es pas allé voir ailleurs par hasard ? Hein, parce que t’es puni du coup et toc !” et autres commentaires pas si amicaux que ça, finalement.
Les soignants eux-mêmes sont parfois tentés par ces théories psychosomatiques qui leur permettent de se rassurer et de se sentir protégés du risque. Comme cette infirmière répétant à son patient : « vous avez dû quand même beaucoup fumer pour avoir ce cancer du poumon, est-ce que c’était une façon de vous détruire ? », à lui qui n’a jamais fumé une seule cigarette, ou ce médecin qui explique à une femme que son cancer du col de l’utérus est possiblement en lien avec une « vie sexuelle particulièrement active », ce qui sous-entend des choses qui n’ont aucun rapport avec sa vie réelle, provoquant ainsi une juste colère. Une malade m’a raconté que, lors de la première hospitalisation après l’annonce, elle pleurait dans sa chambre, angoissée et une infirmière qui venait prendre sa tension lui a dit : « Ma petite dame, faut pas pleurer, vous avez dû vivre un choc psychologique important et ça a créé votre cancer, alors, pour guérir, va falloir être forte ». Au-delà de ce que chacun a le droit de penser, d’imaginer, il ne faut jamais perdre de vue que ces théories blessent ceux à qui elles s’adressent et qui doivent déjà digérer l’annonce d’une maladie qu’ils savent potentiellement mortelle.
Ce genre de discours n’est pas scientifique. C’est violent de vouloir tout expliquer, de justifier par des chocs émotionnels mal gérés, comme par exemple un divorce mal vécu (qui le vit bien, d’ailleurs ?), de ce deuil mal fait, de ce job perdu qui aurait engendré trop de stress (normal quand on ne sait pas comment on va nourrir sa famille le mois suivant), etc… Le sujet est tabou mais ces interprétations ne reposent sur aucune étude sérieuse et en plus, très souvent, cela engendre une culpabilité terrible chez la personne malade. Non seulement elle doit faire face à l’annonce d’une maladie grave, mais en plus ce serait de sa faute… ? J’ai passé 20 ans de ma vie professionnelle à recevoir dans mon bureau à l’hôpital des personnes en larmes qui, à peine assises, me disaient : “Qu’est-ce que j’ai raté ? Qu’est-ce que j’ai mal fait pour en être là ? “
Demander de l’aide pour découvrir son potentiel de guérison
En quoi ces théories psychosomatiques sont-elles aidantes ? Elles peuvent l’être parfois si cela permet à une personne de mieux faire face à sa maladie en estimant que c’est tel événement de sa vie qui l’a engendré, si c’est un moteur pour elle et que le sens qu’elle donne à la maladie lui permet de mieux faire face à la situation. Dans ce cas, pourquoi pas ? Mais, pour tous les autres, si ce n’est pas aidant mais au contraire culpabilisant, alors cela n’a aucun intérêt.
En revanche, que l’annonce d’une maladie grave vienne réactiver des traumatismes passés et que certains aient besoin à ce moment là d’en parler alors qu’ils ne l’ont jamais fait auparavant ou pas suffisamment, c’est tout à fait compréhensible et peut effectivement soulager (secret de famille gardé pour soi, événement traumatique passé, etc…).
Le facteur psychologique, le choc émotionnel ne peut pas être déterminant dans l’émergence d’un cancer ou d’une pathologie grave, rien ne le prouve. S’il y avait vraiment un lien avec le vécu psychique, comment expliquer alors le cancer des plantes ? Ou de tout organisme vivant ?
Le cancer, fruit du hasard ?
L’annonce de la maladie grave va faire que chacun aura sans doute besoin de faire un point sur sa vie, sur son histoire, sur ce qu’il a fait dans le passé, sur ce qu’il a envie ou besoin de modifier, de faire évoluer dans sa vie et c’est souvent ce travail qui est fait en psychothérapie tout comme le fait de pouvoir exprimer (sans crainte de blesser ou d’attrister ses proches) tout ce que fait vivre cette maladie (colère, tristesse, angoisses, peurs, etc…) face à une psychologue dont c’est le métier d’écouter, d’entendre, d’accompagner.
On a tous plus ou moins besoin de donner du sens à ce qui nous arrive, de trouver des causes à nos malheurs. Mais si cela nous fait plus de mal que de bien, quel intérêt ? Pourquoi faudrait-il tout le temps que l’on soit coupable de tout, dans notre société ? Parfois, il serait peut-être intéressant d’accepter justement l’idée qu’on ne sait pas tout, surtout pas sur ce qui fait qu’au cours de leur vie, certains vont développer telle ou telle maladie et d’autres pas. Il s’agit peut-être d’une sorte de loterie qui s’acharnerait sur certains et protégerait d’autres sur un certain plan. C’est un peu le mystère de la vie, c’est peut-être ce que l’on a le plus de mal à accepter, de ne pas savoir pourquoi les choses arrivent. C’est peut-être aussi ce qui fait tout son charme et c’est sans doute là, ma seule certitude.
Par Valérie Sugg
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