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En 2015, l’entreprise Crème de la Crème décide de se lancer sur un terrain encore inexploré et inexploité : les étudiantes et étudiants en freelance. Notre aventure connaît alors un succès rapide. Sans tarder, nous devenons la marketplace de référence sur ce marché de niche. Pourtant, trois ans plus tard, Crème de la Crème annonce un repositionnement avec une plateforme dédiée aux corporates. Désormais, la communauté est exclusivement composée de freelances, et pas n’importe lesquels : des rockstars dans leur domaine maîtrisant les dernières expertises digitales.
Résultat de ce pivot : Crème de la Crème est aujourd’hui partenaire d’entreprises comme L’Oréal, AccorHotels, BNP Paribas, Samsung, ENGIE ou encore Airbnb. Chaque jour, celles-ci peuvent faire appel à la crème des freelances, celles et ceux dont l’expertise peut tant être en UX (expérience utilisateur, ndlr), en data science ou même en développement Web et mobile.
La volonté est simple, puisqu’il s’agit de proposer aux grandes entreprises les meilleurs freelances de l’Hexagone. Dans ce MaddyREX, nous allons donc voir comment réussir cette acrobatie périlleuse, que d’autres entreprises ont également accomplie avec succès dans le passé. À titre d’exemple, on pourrait citer Criteo, qui a commencé en 2005 en tant que service de recommandation de films avant de pivoter en 2006 vers la recommandation de produits pour sites marchands. Et en 2008, l’entreprise pivote une nouvelle fois vers du retargeting publicitaire en ligne.
Quand sait-on qu’il faut se repositionner ?
Les raisons qui motivent un repositionnement peuvent être multiples et propres à chaque marché ou industrie. Mais dans notre cas, le choix a été porté par la combinaison de plusieurs signaux plus ou moins forts, lesquels ne pouvaient plus être ignorés.
Ces signaux peuvent venir de ta clientèle, de tes chiffres et de tes observations du marché :
- Ta clientèle : les besoins de tes clientes et clients évoluent. Ces derniers te demandent des profils seniors et expérimentés, des missions sur des périodes plus longues. Ces critères ne coïncidaient plus avec notre communauté de l’époque – soit des freelances juniors en part-time, essentiellement intéressés par des missions courtes. Au final, avant notre pivot (et au bout de deux ans d’activité), nous réalisions 80 % de notre chiffre d’affaires de l’époque avec les freelances les plus expérimentés de notre communauté. Avec celles et ceux qui étaient diplômés depuis plus de cinq ans, qui étaient freelances à temps plein et qui possédaient une expertise technique avérée. Cela représentait environ 20 % de notre communauté de l’époque. Aujourd’hui, 80 % de notre clientèle est constituée de grands groupes, et 100 % de nos freelances ont été sélectionnés à la main pour correspondre à notre nouveau positionnement. À ce jour, notre taux de satisfaction client est de 97 %, et ce à la suite des missions réalisées.
- Ton business model : au bout de deux ans, nous avions rencontré les limites d’un modèle qui reposait sur des équations peu favorables à un développement économique intéressant sur le long terme : budgets clients faibles car cible peu qualifiée, taux journaliers peu élevés car freelances juniors, et profits faibles car missions courtes. Aujourd’hui, cette équation n’a plus rien à voir. Elle repose sur une forte notion de volume et de repeat avec des paniers moyens importants.
- Tes observations du marché : dès 2015, on s’est rendu compte que la montée du freelancing était un phénomène structurel mondial qui touchait toutes les entreprises. Mais c’est vers fin 2016 que nous avons vraiment ressenti que la traction viendrait surtout du monde corporate. Toutes les compétences digitales se retrouvent dans les mains des freelances. Ce phénomène prend de court les grands groupes, lesquels ont de plus en plus de mal à recruter en CDI. On s’est alors concentré sur cette opportunité de marché avec un service correspondant vraiment aux besoins des grands groupes (nouvelles expertises, expérience solide, rapidité du service, conformité juridique, le tout sur une plateforme qui correspond à leurs usages). Des besoins qui n’étaient pas encore adressés par les acteurs historiques de la prestation intellectuelle informatique comme les ESN (entreprises de services du numérique, ndlr). Structurellement, ceux-ci ne peuvent pas développer une communauté de freelances semblable à celle Crème de la Crème aujourd’hui.
Comment préparer au mieux son repositionnement ?
Une fois que tu as tes signaux, il faut vérifier ces nouvelles hypothèses, interroger le marché, sa communauté, et se questionner sur ses propres forces et ses avantages comparatifs. Ce n’est pas un exercice facile. Il faut donc prendre le temps d’analyser chaque aspect de la situation.
- Identifier ses forces : tout y passe, les ateliers brainstorming avec l’équipe, les sondages auprès de notre communauté, les focus groups avec nos clients corporates, les études de marché, etc. Tu veux identifier avec certitude où se situe ta valeur la plus importante, et donc ta force. On a passé des mois à interroger nos utilisatrices et utilisateurs dans tous les sens. Ce qui ressortait en grande majorité, c’était la sélectivité et l’excellence au cœur de notre modèle, comme le fait de pouvoir travailler avec une personne freelance les yeux fermés, sans devoir chercher par soi-même dans une bibliothèque de CV, ou encore de devoir faire ses propres tests de compétences. Il y aura bientôt un million de freelances en France. Il n’y a donc pas d’utilité pour notre clientèle à se retrouver noyée parmi tous ces profils. Dans un monde rempli de freelances, Crème de la Crème met tout en œuvre pour proposer les meilleurs.
- Créer un modèle qui correspond vraiment à sa cible : sur Crème de la Crème, pas de modèle self-service, à l’instar d’Amazon. Les freelances de notre communauté ne sont pas dans un catalogue. Au contraire, nous avons créé un modèle entièrement dédié aux workflows des corporates pour qu’ils ne mobilisent pas de temps à chercher le bon profil par eux-mêmes. Le tout avec une interface qui facilite la vie des équipes métiers, ou même des directeurs achats de structures type CAC40/SBF 120. Aujourd’hui, Crème de la Crème permet de positionner le meilleur freelance le plus rapidement possible avec un taux de matching très élevé. Ce qui importe à nos clientes et clients, c’est le bon profil, la compétence appropriée, au moment M, avec un accompagnement premium. De même, pour nos freelances, ce qu’elles et ils souhaitent, c’est la mission adaptée au bon moment, avec une expérience produit simple et personnalisée, le tout en évoluant au cœur d’une communauté exclusive.
- Rester fidèle à l’ADN et aux valeurs de tes débuts : que ce soit en 2015 avec des étudiantes et étudiants, ou depuis 2018 avec des profils experts, les valeurs de Crème de la Crème demeurent centrées autour de l’excellence du service, de la sélectivité de sa communauté (top 10 %), et de l’accompagnement de chaque utilisatrice et utilisateur.
Comment bien communiquer son repositionnement ?
C’est la phase clé. Peut-être la plus longue. On est passé par trois étapes :
- Sensibiliser et former ton équipe : l’équipe doit porter ce nouveau positionnement, ses valeurs, pour être pleinement ambassadrice de la marque au quotidien. Il est indispensable de s’appuyer sur une équipe managériale forte. Cette dernière saura mener à bien une période de changement, car un pivot entraîne une remise en question de tout le fonctionnement de l’entreprise, et même de sa raison d’être.
- Prévenir tes utilisatrices et utilisateurs en amont : on a pris le temps de parler à toutes les personnes freelances et clientes qui nous suivaient, de remercier nos early-adopters, de rencontrer nos ambassadrices et ambassadeurs, le tout en essayant d’être le plus pédagogue possible, en empathie.
- Réaliser une campagne de communication claire – avec une nouvelle identité et une diffusion à l’ensemble de ses utilisatrices et utilisateurs, de ses partenaires, de ses prospects, de la presse : il était indispensable de refondre le site pour refléter notre nouvelle proposition de valeurs. Chez nous, les éléments importants à mettre en avant étaient : a) Une communauté exclusive de freelances experts dans leur domaine uniquement (10 % de taux d’acceptation dans la communauté) ; b) Les métiers du digital uniquement (tech, product, ux, design, marketing digital) ; c) Une plateforme et un service pensés pour les corporates et les tops freelances.
Quels éléments peuvent freiner un repositionnement ?
- Le bouche-à-oreille (paradoxalement) : quand ton modèle repose sur une communauté, chacun de ses membres est un ambassadeur qui en diffuse le positionnement autour de lui. Mais après un pivot, si chaque membre n’a pas assimilé le nouveau positionnement, des informations erronées se diffusent chaque jour. Cela ralentit le temps de propagation de ta nouvelle identité. Un repositionnement complet peut prendre entre douze et vingt-quatre mois. De notre côté, ce qui nous importait à court terme était que notre cible principale soit bien au courant de ce repositionnement – notre clientèle constituée de grands groupes et les freelances full time.
- Tes détractrices et détracteurs : changer de positionnement peut créer de la frustration pour les utilisatrices et utilisateurs qui préféraient l’ancien modèle. En amont, il te faut préparer cette « communication de crise » pour adresser chaque situation avec la réponse la plus adaptée. Il faut essayer de ne laisser personne de côté en accompagnant tout le monde durant cette transition. Par exemple, on essaie de guider au mieux les jeunes freelances qui ne sont pas encore assez expérimentés pour qu’ils puissent un jour rejoindre la communauté.
- La mutation des opérations du quotidien : l’un des défis a été d’adapter le fonctionnement de nos opérations à une nouvelle typologie d’entreprises clientes, et de faire monter tout le monde en compétence. De même, au niveau technique, il a fallu adapter notre plateforme et notre application à de nouveaux besoins pour mieux correspondre aux usages de notre communauté. Plus ces sujets sont anticipés, plus aisée sera la transition.
Quelques derniers conseils pour la fin ?
Il faut toujours être au plus proche de son client final, mais aussi de ses utilisatrices et utilisateurs en écoutant leurs retours, sans jamais perdre de vue leur satisfaction. L’objectif est de trouver son product/market fit tout en conservant une vision forte.
Aussi, il est essentiel de tout le temps remettre en question ses plans, de ne pas s’enfermer dans un tunnel, dans une idée ou une roadmap.
Enfin, ne pas oublier de toujours rester connecté aux évolutions du marché, suivre son intuition, et savoir s’entourer des bonnes personnes (board, actionnaires, comité stratégique ou experts de l’industrie).
Jean-Charles Varlet, cofondateur et directeur général de Crème de la Crème.
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