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Outre Atlantique, la presse s’inquiète de voir la Chine étendre sa puissance non seulement sur le plan commercial mais aussi technologique. Les discussions sur le déploiement de la 5G par Huawei en Europe et aux Etats-Unis illustrent une partie de l’affrontement qui débute.
La Silicon Valley n’a pas toujours été hégémonique puisqu’avant l’ouest il y a eu l’est américain (1945-1970)
Avant la Silicon Valley, il y a eu Doriot. Georges Doriot, émigré français sur le sol américain qui, à force de travail et d’endurance, a mis en application sa vision : financer des sociétés innovantes, dès leur création, sans l’apport de capitaux des grandes familles industrielles américaines (Rockefeller, Whitney & Co, etc.). Doriot était professeur à Harvard et a créé en 1946 une structure, l’ARD (American Research & Development). La côte est des Etats-Unis était l’épicentre financier et cela a permis à Doriot de lever de l’argent sur cette promesse que le venture capital pouvait être une classe d’actif financier aussi attractif que les autres. L’histoire lui a donné raison puisqu’ARD aura levé environ 15 millions de dollars pendant son existence et sera vendue près de 500 millions de dollars en 1972, portée notamment par un de ses investissements les plus réussis, la Digital Equipment Corporation, qui à elle seule valait 200 millions de dollars. La performance a été d’afficher un TRI de 17 % sur la période d’investissement pendant que le Dow Jones réalisait une performance de 13 %. Ce succès ouvrit la voie à d’autres, sur la côte ouest. La domination de la côte est avait été possible grâce à la puissance financière et académique : Harvard était à l’époque l’université la plus réputée des Etats-Unis mais aussi une puissance technologique puisque le MIT hébergeait deux des principaux laboratoires du monde avec le Radiation Laboratory et le Lincoln Laboratory (ce dernier ayant donné naissance aux premiers ordinateurs et en particulier à la société DEC).
Silicon Valley : 50 années d’hégémonie (1970-2020)
La côte ouest a aussi eu son bienfaiteur : Lewis Terman, un professeur de Standford qui, troublé de voir que la plupart de ses meilleurs étudiants fuyaient vers la côte est, réussit à convaincre deux de ses meilleurs étudiants, Dave Packard et William Hewlett, de revenir. Et participer ainsi à l’éclosion de HP et de toute l’industrie des semi-conducteurs. Cette même industrie qui donna ensuite son nom à la Silicon Valley.
L’analyse des causes du succès de la Silicon Valley a fait l’objet de nombreux écrits. Nous retiendrons que cela a été possible grâce à l’abondance simultanée de trois ingrédients : du capital, des compétences et du politique. Le dernier ingrédient est souvent occulté par les deux premiers. Pourtant, l’Etat est très impliqué dans tout l’écosystème. Cela a commencé en 1957 avec le lancement de Spoutnik par l’URSS qui a rappelé à tous les Américains le potentiel retard que prenait leur pays dans la course à la Lune. Spoutnik a permis la création de la DARPA, l’agence américaine étatique qui finance les programmes de R&D de l’armée. Ces programmes sont ensuite utilisés dans le civil avec des applications commerciales. Une forte volonté politique d’utiliser la technologie et des entreprises leaders dans leur secteur est indispensable pour faire émerger un écosystème résilient. Cela peut être grâce à du financement de la R&D militaire mais aussi grâce à un environnement réglementaire libre, une fiscalité favorable, un cadre légal favorable à l’immigration de profils étrangers qualifiés, etc. Cette politique a donné ce que l’on connaît : une toute puissance d’entreprises technologiques – les fameux GAFA, qui imposent au monde entier leurs règles. Ils sont à même de négocier avec les gouvernements étrangers de la fiscalité (cf. taxes européennes contre les GAFA ou la RGPD qui ne sont que des tentatives de l’Europe de reprendre le contrôle sur des prérogatives souveraines) ou de normes juridiques (selon la règle que dans le numérique “Code is Law”). Dans le cyberespace, depuis plusieurs années, l’Europe subit cette mainmise américaine.
La Chine est un nouveau géant technologique et les offensives de Huawei sont les débuts d’une guerre technologique qui ne dit pas encore son nom
Sans être complètement déterministes, nous pourrions dire qu’en Chine, les mêmes causes produisent les mêmes effets. L’Etat chinois est au cœur du développement technologique des entreprises nationales. Il s’efforce depuis plusieurs années de mettre sur la table des quantités d’argent et de rassembler des compétences pour passer d’une ère de “copycat” à une ère d’innovation de rupture. En 2014, le premier ministre chinois a ouvert la cérémonie de Davos en utilisant pour la première fois les termes de : “innovation by all” et “grassroots entrepreneurship”. Côté capital, le gouvernement a lancé en 2014 une politique de fonds dont les volumes sont de l’ordre de plusieurs centaines de milliards de dollars ; ils ont vocation à financer les secteurs de croissance où la Chine souhaite se positionner comme Internet ou le Big Data. Côté compétences, plusieurs actions ont été prises, et une des plus marquantes (“the Thousand Talents Program”) a été celle de rapatrier à partir de 2008 les citoyens chinois travaillant à l’étranger avec une forte expertise technologique, et ceci grâce à des leviers fiscaux notamment.
Le cocktail capital, compétences et volonté politique est prêt ; et pour les Etats-Unis, il a un goût amer. L’Insead a publié un rapport en fin d’année dernière indiquant que sur le premier semestre de 2018, 56 milliards de dollars avaient été investis en venture capital en Chine contre 42 milliards aux Etats-Unis. C’est la première fois que la Chine dépasse les Etats-Unis. Si Uber est encore première au classement des licornes mondiales, elle est suivie de près par Didi (50 Mds $), Xiaomi (46 Mds $) et Meituan (30 Mds $). La crise Huawei intervient dans ce contexte-là. Les Etats-Unis, contrairement à l’Europe, ont interdit à leurs agences fédérales d’utiliser des produits et les futurs réseaux 5G de ce groupe pour des raisons de sécurité nationale. Les Etats-Unis sont conscients des enjeux : la maîtrise de l’infrastructure technologique donne un avantage dans la suite de la bataille commerciale et technologique.
La Silicon Valley a désormais un nouveau concurrent qui souhaite lui aussi asseoir sa puissance. Ce n’est pas Londres et c’est encore moins Saclay. La Chine est là pour faire passer le cœur de l’innovation de l’Occident vers l’Extrême Orient, cinquante ans après le passage de l’est américain vers l’ouest américain.
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Yalayolo Magazine