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Je ne sais pas si c’était le bon, en tous cas je l’ai fait. Entreprendre. Une belle connerie ? Parfois, c’est ce que je me dis. Tenez, la vie a fait qu’il y a quelques semaines je me suis séparé de l’un de mes associés, en excellents termes. Le fait est qu’il vient de décrocher un poste tout ce qu’il y a de plus enviable et qui lui garantit une vie confortable. Qu’on soit d’accord : je suis extrêmement heureux pour lui, pour sa compagne et ses proches. Je ne fais pas preuve d’une once de jalousie ni de rancoeur.
Toutefois cela peut inspirer de drôles de réflexions. Je me suis demandé si je n’aurais pas été plus malin d’arrêter aussi, de capitaliser sur ma petite expérience d’entrepreneur pour aller faire des ronds de jambes aux grands groupes, friands de « startupers » comme on aime les appeler. Quitter la barque avant de la couler ou de la transformer en paquebot, mais s’assurer un avenir capable d’apporter un sentiment inestimable : la quiétude. Oui mais non. Je n’ai pas fait ce choix, je continue. Et je me plais dans cette vie. Ce choix, j’ai eu la chance de le faire par moi-même, pour des raisons qui me sont propres, sans aucune pression de mon environnement me poussant à me lancer dans une aventure des plus périlleuses. J’ai entrepris parce qu’il s’agissait pour moi de la seule voie viable pour gagner l’émancipation, la passion et la stimulation qui me manquaient après ma maigre expérience en entreprise.
Entreprendre pour se démarquer
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu me démarquer, sortir du lot, ne pas être « lambda » dans le secteur dans lequel j’évoluerais. Je n’ai pourtant pas de problème d’égo ni un réel besoin de reconnaissance, aussi paradoxal que cela puisse paraître après ce que j’ai dit. J’ai simplement toujours voulu laisser quelque chose derrière moi, partir avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose qui sort de l’ordinaire, avoir, à mon échelle, changé des choses, aussi infimes soient-elles. Et c’est peut-être là le bon point de ma volonté d’entreprendre. Je ne l’ai pas fait pour des lauriers ou une gloire potentielle, je l’ai fait pour que je puisse me le dire à moi-même. Et ce besoin que j’ai de vouloir laisser une trace, je ne l’ai pas pour que l’on parle de moi, je l’ai pour là aussi me dire que j’en ai été capable. Encore faut-il en être certain, avoir un minimum de recul, que je n’ai peut-être pas au final, mais en tous cas, aujourd’hui, je n’ai aucunement le sentiment d’être en plein ego trip.
Mais ce choix, nombreux sont ceux qui l’ont de moins en moins. Pour appuyer mes propos, j’aimerais juste vous renvoyer vers une vision grossière de l’évolution de la position sociale des entrepreneurs. Là aussi entendons-bien, être entrepreneur ce n’est pas monter une startup dans la deeptech avec des IA des blockchains et tous les autres mots à la mode. Entreprendre c’est aussi monter son restaurant, son magasin, ou tout autre activité commerciale (ce qui coûte en général, de plus, bien plus cher à l’amorçage que de lancer une boîte dans la tech).
Entrepreneur, le nouvel influenceur
Revenons à cette théorie de l’évolution. Alors qu’il a été à la mode d’être acteur ou chanteur, puis star de télé réalité, les magazines people tout comme les titres économiques ou « lifestyle » n’hésitent plus à mettre en couverture des entrepreneurs à succès. Bingo. Splendide. La reconnaissance est enfin au rendez-vous pour ceux qui n’étaient il y a peu que de pauvres fous utopistes qui dans leurs chambres ou leurs garages rêvaient de changer le monde. Un entrepreneur, maintenant c’est cool. Geek is the new chic. Fini les clichés du chômeur qui cherche à se reconvertir, ce sont les nouveaux génies de notre monde, les meneurs de la révolution technologique et économique, les gourous du « in » et du « out ». Seulement voilà, la terre promise n’est pas aussi facilement accessible que ce que certains aiment le laisser croire. Et c’est là toute la perversité des discours que beaucoup tiennent.
Les plus fervents défenseurs de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont maintenant ceux qui le sont le moins, et là réside le danger. Il est aisé de tenir de grands discours pour motiver les troupes à aller au charbon lorsque l’on est confortablement assis sur une montagne de billets. Là, je parle des grands groupes, qui multiplient les initiatives et autres joyeusetés (concours, trophées, hackathons, et j’en passe). Je ne vais pas y aller par quatre chemins : je vois plus cela comme de la masturbation d’envergure et du fond de teint pour cacher les rides de structures vieillissantes et qui peinent à rester dans la course à l’innovation qu’une réelle envie de faire bouger les choses et d’insuffler un renouveau économique. Vous me trouverez peut-être ingrat, dans la mesure où moi aussi j’ai tenté de profiter de ces initiatives pour être visible, mais le constat reste le même. Profiter d’initiatives ne doit pas forcément rimer avec le fait de se mettre des oeillères et se transformer en béni-oui-oui. Le danger est réel. Une pression émerge, et elle va faire des ravages, multiplier les mauvaises décisions et potentiellement bousiller des jeunesses, si ce n’est des vies.
J’abordais il y a quelques lignes la notion d’ego trip pour une bonne raison. Le formatage actuel de la prochaine salve de professionnels stimule les égos, à outrance. J’ai aussi eu la chance de fréquenter de nombreux étudiants, pas beaucoup plus jeunes que moi au demeurant. J’ai été abasourdi par leur vision d’eux-mêmes. Je ne vais pas déterrer la polémique autour de l’image que certaines écoles renvoient à leurs étudiants d’eux-mêmes, beaucoup se plaisent déjà à le faire, avec plus ou moins de talent et d’arguments. Et je n’ai rien contre ces écoles. Quoique…
J’aimerais toutefois leur adresser un message, à ces étudiants et jeunes actifs qui ont envie de tout bouffer et qui ont ce sentiment de surpuissance qui brûle en eux. Continuez ! Sincèrement, gardez cette foi inébranlable en vous et en vos capacités, mais mettez-là au service du bon et du vrai.
Ne perdez pas votre savoir-être
Ne choisissez pas la voie de la facilité, consistant à évoluer au détriment de l’autre, à écraser plutôt qu’à épauler. Beaucoup veulent rejoindre le « top management » d’entreprises le plus rapidement possible, monter les échelons un jet-pack dans le dos, pour potentiellement lancer leur activité. Excellent. Mais gardez toujours cette part d’humanité et de rationalité qui vous permettra de créer plutôt que de détruire, d’entendre plutôt que de vous complaire dans vos propres idées réconfortantes.
L’école ne nous y prépare pas, la vie professionnelle est devenue une exode vers la sainte réussite. Mais ne laissez pas crever les autres sur le bord de la route, ne pillez pas leurs ressources pour aller plus loin. Vous ne serez jamais de bons entrepreneurs en agissant ainsi. Et lorsque je dis « bons », je ne dis pas riches. Vous pourrez peut-être devenir plus facilement riche en rangeant votre éthique, votre compassion et votre bienveillance au placard. Mais la réelle fierté passe par le fait de faire grandir les autres avec soi, de se fixer des objectifs qui n’ont pas comme ultime vocation que la satisfaction de soi. Ces autres, n’allez pas les cogner sur la tête pour continuer à prendre de la hauteur. Si je pouvais vous demander une chose, ce serait de prendre quelques minutes et vous demander ce qui vous rendra fier lorsque vous aurez l’âge d’être grands-parents. Peu diront d’être indécemment riches. Et c’est en ce sens que vous ferez votre choix, celui d’entreprendre ou de passer votre tour. Ne le faîtes pas pour les 0 sur votre compte bancaire. C’est la pire des motivations pour vous lancer.
L’entrepreneuriat, cette nouvelle bulle
En mon sens, tout cela n’est qu’une énième bulle. Une bulle d’effervescence autour d’un renouveau dans la vision de l’emploi et du sens de la vie, mais qui n’en reste pas moins terriblement opaque. Qu’il faut entreprendre, vous l’entendez partout, tout le temps, à toutes les sauces. Mais qui vous parle vraiment des risques ? Qui vous dit que votre vie sociale sera entre parenthèses plus que nécessaire ? Qui vous dit que, si vous avez la chance d’avoir une vie amoureuse, vous embarquerez pour un ménage à trois avec votre boite qui se couchera entre vous et votre conjoint(e) absolument toutes les nuits ? Je vous donne la réponse : peu, très peu de personnes. Se casser la gueule, ça fait toujours mal, avec ou sans vitesse. Alors oui, on voit de plus en plus émerger des discours autour de la valorisation des échecs. Certes, il y a toujours des enseignements à tirer. Mais très objectivement, planter une boite et rembourser des crédits pendant des années et vivre dans la privation, as-t-on vraiment besoin de ce type de leçons pour accéder à la sagesse ? Les cyber-Ghandis feraient mieux de là aussi parler des réalités auxquelles on ne peut échapper au lieu de toujours donner des leçons sur la meilleure manière de prendre du recul et tirer des enseignements qui sont parfois inutiles. La culture de l’échec a elle aussi ses limites, mais pour qu’elles soient abordées, encore faudrait-il que ceux qui reprennent les idées pour les régurgiter aient connu ces fameuses chutes brutales desquelles ils s’auto-proclament experts. Personnellement, je n’en suis pas un.
Et comme toute bulle, elle éclatera. Probablement bien plus vite que l’on se plaît à le penser. La superbe de cet univers finira par ternir, puis faner. Peut-être même que l’on salera son sol et que rien n’y repoussera. Ce sel, c’est tout ce cérémonial ridicule, ce langage, ces mensonges, inhérents, connus, mais avec lesquels on veut bien vivre parce que l’on en profite ou que l’on espère en profiter un jour. Au final, on est pas loin de la situation qui oppose les industries et le réchauffement climatique. Et essayer d’en parler et de se faire entendre dans ce brouhaha faussement bienpensant est aussi facile que de faire admettre a un alcoolique qu’il a un problème.
Je ne suis pas un bon client du monde des startups, même si j’y évolue au quotidien. Je déteste tous les apparats qui en sont l’une des composantes de fond, je n’ai pas les yeux pleins d’étoiles devant les grosses levées, pour moi, les VCs ne sont pas des archanges, et les apéros-dinatoires networking qui me renvoient à ma condition de mec qui a vieilli trop vite me donnent la chair de poule. Non, non et non. J’ai aussi une sainte horreur des grands génies qui vont à Vivatech comme un otaku à la Japan Expo et qui se revendiquent entrepreneurs parce qu’ils ont une idée et un copain graphiste qui leur a fait un logo. Toute cette superficialité a en réalité un effet dévastateur : celui de faire croire à tout à chacun qu’entreprendre, c’est facile, que c’est une vie de popstar qui n’a même pas besoin de passer par un télé crochet. C’est un ramassis de conneries à peine bon à combler les colonnes de quelques médias en perdition ou à exciter des grands penseurs qui déversent leurs pseudo préceptes sur LinkedIn, réinventant les promenades en les appelant « cowalking » et les déjeuners sans smartphone les « mindfuleating ». L’auto-satisfaction a ses limites, et il serait peut-être temps de dire stop.
Certains me prennent déjà pour un réac, mais je n’en suis pas un. Promis juré. J’ai simplement le sentiment d’être lucide, alors qu’après tout, c’est peut-être moi qui suis dans le faux. À vous de me le dire. Je ne crache pas sur le monde de l’entrepreneuriat, je crache sur toute la récupération des nombreuses personnes et structures qui exploitent le filon de manière inconsciente, démesurée, sans penser aux conséquences. Il y a un chemin qui permet de faire le bien tout en gagnant sa vie et en menant ses projets. Il y a un chemin aux saveurs aigre-douces qui peut vous mener à faire ce que vous n’auriez jamais pensé être capable de faire. Mais ce chemin n’en n’est qu’un parmi tant d’autres, et il n’est pas celui qui vous rendra forcément heureux. N’écoutez ni les banques, ni les gouvernements, ni les médias ou tout ce que vous pouvez lire ou entendre. Vous n’avez pas besoin de ça pour savoir ce qu’il vous faut. C’est déjà en vous, c’est une composante de votre être, une part d’âme. Tout comme vous, cette composante peut évoluer, mais à votre rythme.
Faîtes le choix d’une vie qui vous comble, mais surtout pas d’une que l’on pourrait vous envier.
Charles-Henri Gougerot-Duvoisin est le CEO d’Obvy, retrouvez cet article sur son compte Linkedin.
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