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Lors du débat du second tour des élections présidentielles de 2017, Marine Le Pen fut mise en difficulté sur sa connaissance du sujet de l’Euro. Elle pensait que tout avait débuté en 2000.
Une gestation de près de 30 ans
L’aventure Euro a débuté bien avant 1999. Les premières mesures de régulation des changes initiées au sein de l’Europe datent de 1973. C’est la création du Fonds Européen de Coopération Monétaire.En 1994, le FECOM est remplacé par l’Institut Monétaire Européen (IME), embryon de la future Banque Centrale Européenne. L’ancêtre de l’Euro, l’ECU (European Currency Unit) apparait en 1979. Pour l’heure, il s’agissait uniquement d’une monnaie unité de compte, pas de règlement. C’était un panier de monnaie dont la valeur dépendait de celle des devises des pays européens participants (DEM 17%, FRF 13%, etc.).
Des visions très différentes des partenaires
Dès les premières discussions, il fallut arbitrer entre monnaie commune et monnaie unique. Rapidement, la monnaie unique s’imposa. Impossible d’imaginer dans chaque pays la coexistence harmonieuse d’une double monnaie, monnaie nationale et monnaie européenne. Comme condition de leur adhésion, les Britanniques exigèrent que 20% de la surface des billets en Euros soit réservée à des symboles nationaux. Mais les autres européens préféraient rendre les billets totalement « anonymes ». Comment accepter d’utiliser dans la zone Euro, des billets fabriqués par la Banque d’Angleterre avec le portrait de la Reine ! De plus, il fallait éviter la préférence irrationnelle pour un billet de 500 € de la Bundesbank, plutôt qu’un billet émis par un pays du « club Med », dont la Grèce. Par conséquent, il fut décidé que les billets représenteraient des ponts, des portes, des fenêtres, non indentifiables, tous symboles de communication.
Londres ou Francfort ?
En contrepartie de l’adhésion des britanniques à l’Euro, les européens avaient concédé d’installer le siège de la BCE à Londres. Le premier ministre de l’époque, Tony Blair, très europhile, espérait que le parlement voterait cette adhésion en 2003. Les divisions entre européens lors de la seconde guerre du golfe ont sonné le glas de ce projet.
Pour leur part, les banques britanniques, tout au long de la décennie 90, ont mené un lobbying forcené pour empêcher la mise en place de l’Euro. Depuis des années, elles encaissaient l’essentiel des commissions de change sur les devises européennes, rente qui allait disparaître avec l’euro. Lorsque les banquiers furent convaincus du démarrage de l’euro, ils changèrent de stratégie pour militer en faveur de l’adhésion à l’euro. Trop tard. Comme dans tout pays, il est plus facile de stimuler le sentiment nationaliste que l’inverse. L’opinion britannique restait farouchement opposée à l’abandon de la Livre sterling.
Le jour J
C’est officiel depuis quelques jours 1 € est égal à 6,55957 F. Les grincheux regrettent les cinq décimales. C’est oublier que les taux de change de chacune des monnaies vis-à-vis de l’Euro tiennent compte des taux de change historiques entre les monnaies européennes. De plus, ces valeurs précises sont le reflet des pouvoirs d’achat par pays. Enfin, cette précision est d’usage sur le marché des changes, personne ne trouve à redire.
C’est le lundi 4 janvier 1999 qui a été choisi. Tout d’abord, c’est le premier jour ouvrable de l’année. Les autorités monétaires et les banquiers disposaient de trois jours non travaillés pour assurer les conditions techniques de la création d’une nouvelle devise. Ensuite, éviter de conjuguer cet événement avec le risque de bug de l’an 2000. Au siège des banques, le réveillon puis le week-end furent studieux, mais les plateaux-repas des grands chefs ajoutés à l’excitation de cet événement hors norme compensaient largement.
Au petit matin, un grand moment d’émotion. Apparaissent les premières cotations de l’Euro « XEU » affichées par Reuter, Bloomberg en provenance d’Asie. A mesure de la journée, tout se déroule correctement. Mais en fin de journée, des banques espagnoles ne parviennent à solder des opérations avec leurs consœurs du Benelux. Ces dernières clôturaient les transactions avant que les espagnols ne puissent confirmer. Un simple problème de décalage et horaire et d’usage du temps de travail.
Une mise en œuvre progressive sur deux ans
Les comptes titres furent les premiers à basculer en Euro. Ensuite, dès 1999, les particuliers peuvent détenir des comptes bancaires en euros. La coexistence de deux chéquiers soit en FRF soit en Euros donneront lieu à des confusions et des escroqueries. Pendant le premier semestre 1999, les banques facturent des commissions de change pour les paiements en carte bancaire effectués dans un autre pays. Inacceptable ! Elles seront vite rappelées à l’ordre par les autorités monétaires. Les pièces de monnaie seront disponibles en décembre 2001. Chaque pays peut battre ses propres pièces, survivance du privilège de seigneuriage de la banque centrale. C’est bien en 2002 que l’Euro devient la monnaie unique de l’Union Economique et Monétaire, Euroland.
Quelle réaction de la communauté internationale ?
Cette entorse à l’hégémonie du dollar est plutôt bien perçue. Pourtant, les premiers mois, la cotation de l’Euro reste faible : 0,85$/€ en oct. 2000. Ce n’est pas le signe d’une défiance, mais plutôt la bonne santé de l’économie américaine. Les banques centrales hors zone Euro voient la gestion de leurs devises simplifiées. Il n’est plus indispensable de détenir chacune des monnaies des pays membres. Au sein de l’union européenne, plusieurs pays vont rejoindre la zone Euro. D’autres comme la Pologne ou la Hongrie, s’y préparent, sans franchir le pas. Pourtant, ils ont émis dès 2000 des emprunts en Euros, à un taux moins élevé et d’une plus grande liquidité. Il leur faut intégrer le risque de change pour payer les coupons et le remboursement.
Inversement, Aucun pays n’a envisagé de quitter l’UEM. Pas même la Grèce, en 2015, sous le gouvernement éco socialiste d’Alexis Tsipras. Cela se serait traduit par une perte de pouvoir d’achat d’environ 30% et un renchérissement encore plus dramatique d’une dette libellée en Euros.
Et les Eurobonds ?
Le serpent de mer européen … Lorsque les pays ont arrimé leurs politiques monétaires à la même monnaie, la question s’est posée de mutualiser la dette publique. Une économie de taux d’intérêt pour la plupart d’entre eux. Jusqu’à présent, chaque état continue d’emprunter en son nom en Euros. La qualité de signature des différents états membres se traduit par un écart de taux par rapport au meilleur emprunteur, l’Allemagne. Les variations de ces spreads sont les thermomètres de la confiance dans chacun des émetteurs.
Mais le curseur a bougé avec la crise Covid. Les énormes besoins de financement ont conduit la commission européenne à lancer en juin 2021 un emprunt « Next Generation EU ». On a franchi le Rubicon. Les états frugaux s’y sont résignés. Si nous pouvons être fiers d’avoir réussi à mettre en œuvre une nouvelle monnaie unique, peut être le sommes-nous un peu moins d’avoir favorisé la dette qui va avec. Elle porte bien son nom, elle sera assurée par la Next Generation …
Tribune rédigée par Pierre Gruson, Professeur de Finance, Kedge Business School Bordeaux
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