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Ancien ministre de François Hollande, Pierre Moscovici préside la Cour des Comptes depuis un an et demi. Fin novembre, l’institution a célébré le 30e anniversaire de la loi de 1991 sur la philanthropie en organisant un colloque en forme de bilan de son action dans ce domaine sensible. Pour Yalayolo Magazine, l’ex-lieutenant de DSK a accepté de décrypter l’influence de la Cour sur la collecte en France et son usage. Et d’évoquer son propre avenir…
Par Yves Derai
Quel rôle joue la Cour des comptes dans le domaine de la philanthropie ?
Pierre Moscovici : La Cour est, en quelque sorte, un tiers de confiance vis-à-vis du citoyen. Dès la fin des années 80, on a développé en France l’appel à la générosité publique, ce qui a permis aux organismes bénéficiaires de recueillir des sommes importantes. Ce développement avait été encouragé par des incitations fiscales mais des détournements sont apparus, des affaires qui ont défrayé la chronique. Le législateur a estimé qu’il fallait mieux contrôler les associations. La loi du 7 août 1991 a placé la Cour des Comptes dans un rôle qui se situe à la frontière de l’intérêt général et de l’initiative privée, où elle contrôle l’argent du public. C’est une extension de notre mission traditionnelle qui est de contrôler l’argent public. Du fait des dispositions fiscales dont bénéficie la philanthropie, il existe cependant un coût pour le budget de l’État qui rend notre regard très légitime sur le sujet.
Quel est, précisément, l’objet de votre contrôle ?
Pierre Moscovici : C’est de s’assurer du respect du donateur, donc de la bonne utilisation de ses dons. Depuis trente ans, nous avons investi le périmètre, notamment en créant un secteur consacré à la générosité publique sein de la 5ème chambre de la Cour. Nous ne pouvons pas contrôler tout le monde – nous n’en avons ni les moyens, ni la mission – mais, par exemple, en 2021, nous avons dressé 77 rapports sur des organismes de tailles et de statuts divers qui soutiennent des causes très variées et nous avons choisi de les publier.
Bilan ?
Pierre Moscovici : Ce contrôle est utile car il permet de signaler les irrégularités, ce qui peut entraîner des sanctions, et surtout, il a un effet incitatif qui pousse les associations à bien gérer les fonds qu’elles collectent. La Cour constate que la situation s’améliore année après année. L’augmentation des dons est importante, elle s’accompagne d’une professionnalisation des structures, mais il arrive que l’on constate des dérapages. Ils ne sont toutefois pas de l’ampleur des affaires d’autrefois. Pour être précis, depuis 2009, la Cour a prononcé 4 déclarations de non-conformité, souvent du fait de frais de fonctionnement trop importants. On regarde aussi les conflits d’intérêts et les difficultés posées par des fonds collectés en France pour des projets à l’étranger, ou encore la situation des fondations abritées.
Qu’une entreprise qui fait de la philanthropie en tire un bénéfice d’image, je n’y vois rien de répréhensible. Un conflit d’intérêt, c’est quand une partie des fonds collectés sert la jouissance d’autrui.
Vous pensez qu’une affaire d’une ampleur de celle de l’ARC (Association de Recherche contre le Cancer) dans les années 80 ne pourrait plus arriver ?
Pierre Moscovici : On ne peut jamais dire cela. Les erreurs sont humaines, les malversations aussi, et nous n’intervenons pas en amont mais a posteriori. Mais désormais chacun sait qu’à un moment ou à un autre, il n’échappera pas à la patrouille. Donc oui, notre système est dissuasif qu’autrefois. Je crois plus à la transparence qu’à la sanction, elle amène une évolution vertueuse des comportements. C’est en cela que la Cour a pris une place prépondérante dans le secteur de la philanthropie.
En matière de frais de fonctionnement des associations, y a-t-il un seuil qu’il ne faut pas dépasser ? 10% de l’argent collecté par exemple ?
Pierre Moscovici : Non. C’est variable. Mais nous vérifions que les appels d’offres soient respectés, que les salaires ne soient pas exorbitants, etc.
Quand une grande entreprise abrite une fondation qui sert son image, est-on à la limite du conflit d’intérêt ?
Pierre Moscovici : Ça n’est pas comme cela qu’on le définit. Qu’une entreprise qui fait de la philanthropie en tire un bénéfice d’image, je n’y vois rien de répréhensible. Un conflit d’intérêt, c’est quand une partie des fonds collectés sert la jouissance d’autrui. Bien sûr, une fondation créée par une entreprise ne doit pas confondre ses objectifs avec ceux de l’entreprise.
Vous-même, êtes-vous un militant convaincu du développement de la philanthropie en France, où la règle reste l’État Providence ?
Pierre Moscovici : Oui. Il n’y a quasiment pas d’abus, les causes sont justes. Et l’État joue son rôle à travers les réductions d’impôt qu’il accorde, pour un coût annuel de l’ordre de 2,9 milliards d’euros, ce qui reste raisonnable et proportionné à l’utilité sociale du secteur. Disposer d’un avis de conformité favorable de la Cour est, pour les associations et les fondations, un atout indéniable car les Français, dans leur très grande majorité, ont confiance dans notre institution.
Récemment, nous en avons publié un sur l’état de la recherche française sur le Covid qui a mis en lumière nos retards. Ça n’est pas un hasard si la patrie de Pasteur est le seul grand pays qui n’a pas produit de vaccin. Des dysfonctionnements ont conduit à cet accident.
Dans le dossier de la reconstruction de Notre-Dame qui, sur le plan philanthropique, est très important, quel rôle jouez-vous ?
Pierre Moscovici : Notre-Dame, c’est particulier. Un comité de suivi de la loi a été créé, présidé alternativement par le président de la commission des finances d’une des deux Assemblées, conjointement avec le Premier président de la Cour des Comptes. De notre côté, nous faisons des rapports réguliers sur le suivi des travaux. Je vous rappelle que la générosité publique représente, pour Notre-Dame, quelque 800 millions d’euros.
Depuis que vous avez été nommé par le Président de la République à la tête de la Cour des Comptes, vous avez fait bouger cette vieille institution. Dernière initiative en date, vous publiez désormais des notes structurelles sur des grands sujets comme l’éducation par exemple, et des audits flashs. Vous voulez une Cour des comptes plus moderne, plus réactive ?
Pierre Moscovici : La Cour est une institution multiséculaire, discrète, bien protégée par ses murs épais. Sa tradition, et surtout son indépendance, font sa force. En même temps, elle a su prospérer parce qu’elle a toujours su changer. J’ai voulu à mon arrivée donner une nouvelle impulsion. J’ai lancé un grand chantier de transformation à l’horizon 2025. Nous voulons plus d’ouverture aux citoyens, ce qui nous a inspirés les notes sur les sujets structurels dont vous parlez. Nous y synthétisons notre vision sur les grands enjeux de notre société. Non pas pour animer la campagne présidentielle comme je l’ai lu ici ou là, mais pour irriguer et objectiver le débat public. Je veux aussi plus de rapidité et d’agilité. Nos rapports mettent quinze mois à sortir, c’est trop long. Je souhaite que les délais soient réduits à huit mois, et j’ai lancé des audits flashs, faits en quatre mois environ, ciblés sur telle ou telle mesure. Récemment, nous en avons publié un sur l’état de la recherche française sur le Covid qui a mis en lumière nos retards. Ça n’est pas un hasard si la patrie de Pasteur est le seul grand pays qui n’a pas produit de vaccin. Des dysfonctionnements ont conduit à cet accident.
Des candidats pourraient s’emparer de vos travaux ?
Pierre Moscovici : S’ils le veulent. Et surtout les citoyennes et les citoyens.
Le fait que vous ayez vous-même été un homme politique de premier plan, presque candidat à l’Elysée, a-t-il un impact sur la façon dont vous dirigez l’institution ?
Pierre Moscovici : Depuis 40 ans, le premier président de la Cour des comptes est presque toujours un homme politique. Cette tradition ne doit rien au hasard. Les Présidents de la République successifs ont estimé que cette maison a besoin d’hommes d’État d’expérience à sa tête et de porte-paroles pour s’adresser aux Français. Par ailleurs, comme Pierre Joxe et Philippe Séguin, je viens de la Cour, où j’ai été jeune auditeur. Je ne participe pas au débat politique et je vous assure que tant que je serai ici je serai impartial et indépendant. Je n’en ressens aucune frustration. Ceci étant dit, le fait d’avoir été ministre puis commissaire européen me facilite sans doute la vie. Cela permet d’avoir des contacts au plus haut niveau. Et je connais bien les politiques publiques.
Et si Emmanuel Macron, avec lequel vous avez de bonnes relations, vous proposait Matignon ?
Pierre Moscovici : Je ne me pose jamais la question : « et si ? ». Après la Cour des comptes, je redeviendrai un homme libre, mais je suis très loin d’avoir fini ma mission ici. J’ai un projet pour cette maison – projet que je crois utile à la société – et je m’y sens très bien !
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