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Depuis le début de l’été, l’explosion du nombre de services de » quick commerce » saute aux yeux des Parisiens : tous n’auront pas remarqué le discret ballet des livreurs qui entrent et sortent des » dark stores « , ces petits entrepôts urbains qui permettent à ces services de livrer partout dans la capitale en quelques minutes. Mais la plupart auront vu la bataille publicitaire qu’ils se sont livrée pour vous pousser à télécharger leur application. Après KOL, spécialisé à l’origine dans les alcools, et Frichti, transfuge des » dark kitchen « , ou encore Glovo, voici Cajoo, Dija, Everli, Flink, Getir et Gorillas, qui ont tous levé des millions d’euros pour rivaliser avec les enseignes de proximité et leurs alliés Uber Eats, Deliveroo ou Amazon. Pour l’instant, on en est encore loin.
À Paris, KOL, Cajoo, Gorillas et Flink ne dépassaient pas ensemble le million d’euros de chiffre d’affaires (CA) en mai dernier, selon des chiffres IRI cités par l’expert du retail Olivier Dauvers. Mais l’e-commerce alimentaire (7,8 % des ventes PGC-FLS en France) a connu une croissance de 42 % de son CA en 2020. Et au sein de l’e-commerce alimentaire, le CA de la livraison à domicile (7 % de part de marché), a crû de 20 % en un an, contre une hausse de 9 % pour le drive (92 % du marché).
Si les enseignes de grande distribution et de proximité semblent les mieux armées pour profiter de cette tendance, il ne faut pas sous-estimer la force de la promesse d’une livraison en dix minutes, ni l’agilité et la capacité d’adaptation des acteurs qui l’opèrent. Encore faudra-t-il prouver l’extensibilité du système et sa rentabilité sur le long terme. Une équation pas si simple à résoudre, selon l’expert Frank Rosenthal : » Le défi logistique impose d’avoir de nombreux entrepôts et suffisamment de livreurs. Il faut aussi bien cerner les besoins des clients, afin de n’avoir qu’un nombre de références limitées. Or, pour être rentables, les acteurs qui ne facturent en moyenne que 2 euros la livraison doivent faire du volume et essayer de tirer le panier moyen vers le haut. » Il tourne autour des 22 euros, pour des prix qui doivent rivaliser avec ceux des enseignes de proximité. Pour être rentables, les acteurs du quick commerce misent sur la suppression des intermédiaires qui rognent la marge, ainsi que sur les coûts fixes réduits d’un dark store, par rapport à plusieurs magasins pour la même zone de chalandise. Sans parler des potentielles sources de revenus liées au trade marketing et à la vente de la data.
L’enjeu est alors de se débarrasser de l’étiquette » achat de dépannage » que leur impose leur faible largeur de gamme, tout en recrutant rapidement un maximum de clients. D’où l’actuelle surenchère en matière de publicité ou de générosité, avec des offres de bienvenue avoisinant parfois la centaine d’euros. De quoi expliquer, avec les frais liés à la croissance du réseau de dark stores, le montant des levées du secteur : 454M d’euros pour Getir, 244M pour Gorillas, 198M pour Flink… » Il y aura forcément une consolidation « , indique Frank Rosenthal, qui pose au passage la question qui fâche : » Est-ce une vraie attente des consommateurs ? «
Une course à la premiumisation ?
À l’heure où les urbains font de plus en plus des courses réduites, mais fréquentes, et où le smartphone devient un réflexe pour les nouvelles générations, les acteurs du quick commerce semblent bien positionnés pour répondre à ces nouvelles habitudes. » Le quick commerce veut vous faire gagner du temps, en supprimant la collecte des produits et le passage en caisse. Si l’exactitude de la commande et le délai de livraison sont respectés, et si les produits ne sont pas abîmés, le quick commerce va bousculer beaucoup de choses, à commencer par les offres des enseignes qui, même associées à Uber Eats ou Deliveroo, ne proposent qu’une livraison en trente minutes « , estime Frank Rosenthal. Et si, jusqu’à présent, la seule façon dont se distinguaient les acteurs du quick commerce était le délai de livraison, souvent au détriment de la qualité ou de la variété des produits, on peut voir, dans les ajustements récents apportés par Gorillas à son offre, l’agilité de ces acteurs pour répondre à ces problématiques : la solution allemande a doublé son offre de fruits et légumes, passant de 50 à 100 références, tout en signant de nombreux partenariats avec les boucheries, poissonneries, fromageries ou encore brasseries et boulangeries opérant à proximité de ses dark stores, afin de proposer 30 % de références issues de commerçants ou de marques locales.
Au-delà du délai de livraison, c’est l’offre de produits frais et locaux qui semblent s’imposer en juge de paix. Des services comme La Belle Vie ou Mon-Marché.fr, lequel s’appuie sur l’enseigne Grand Frais, en font leur principal argument et rêvent même de remplacer le super ou l’hyper dans le quotidien des consommateurs, pour une promesse de livraison en une heure. » Le magasin a trois rôles : on y va quand on a besoin d’un produit rapidement ou qu’on doit faire seulement quelques courses, d’où l’offre des magasins de proximité ou des supérettes, qui sont concurrencées par les acteurs du quick commerce. Sinon, on y va pour faire ses courses hebdomadaires ou pour faire une sortie, dans une approche shopping/plaisir. Nous ne pouvons pas nous aligner sur ce dernier aspect, mais nous pouvons totalement remplacer les courses hebdomadaires ! « , explique Paul Lê, cofondateur de La Belle Vie, un service lancé en 2015, qui, avec des paniers moyens à près de 100 euros, se revendique rentable, et qui a connu en 2020 une croissance remarquable, en multipliant son chiffre d’affaires par 5 à 30 millions d’euros ! Grâce à un partenariat stratégique avec Système U ou encore l’ouverture d’un e-shop de La Grande Épicerie de Paris, la solution a doublé son nombre de références à 15 000 produits, dont 4 000 en frais, distribués depuis 4 entrepôts en région parisienne… Et bientôt dans toute la France, selon Paul Lê, qui a levé plus de 11 millions d’euros et cherche encore des fonds pour soutenir sa croissance et concurrencer les enseignes physiques. » Elles développent leur présence en ligne, mais doivent gérer énormément de paramètres : les équipes, les magasins, et la concurrence entre le physique et l’e-commerce, notamment quand elles travaillent avec un réseau de franchisés. De notre côté, nous partons d’une feuille blanche ! « , explique-t-il, sans pour autant vouloir s’étendre sur le discret lancement de BAM Courses, son offre de livraison en dix minutes à Paris actuellement en phase de test.
De son côté, Mon-Marché.fr peut s’appuyer sur la qualité des produits de Grand Frais ainsi que sur la promesse d’une livraison par un coursier salarié afin de séduire les consommateurs hésitants. » Le développement du quick commerce nous est utile, car il développe de nouvelles habitudes de consommation. Mais nous ne sommes pas en opposition frontale avec ces services, qui servent surtout à dépanner quand on n’a plus de chips ou de préservatifs ! De notre côté, nous avons plus de 300 fruits et légumes, une centaine de fromages, toutes les viandes et les poissons, pour au total 1 000 références de produits frais. Dans notre entrepôt, nous opérons à 5 températures différentes, avec des ambiances humides ou sèches, ce qui nous permet de garantir la fraîcheur des produits, pour des prix jamais vus à Paris « , avance Gilles Raison, son CEO, qui revendique un panier moyen à près de 70 euros, pour une commande toutes les deux semaines en moyenne. Là encore, les partenariats avec les commerçants locaux sont favorisés.
Rivaliser avec l’expérience in-store ?
Alors que toutes les offres s’alignent, l’enjeu pour ces plateformes est aussi de créer de la préférence de marque. Côté quick commerce, Gorillas veut prendre de vitesse ses concurrents grâce à ses livreurs, tous salariés, qui sont considérés comme des ambassadeurs de la marque. Ils sont incentivés sur la qualité de la livraison, jaugée grâce aux questionnaires envoyés après chaque commande, plutôt que sur leur nombre. À défaut de pouvoir se distinguer sur les packagings, comme le font notamment des restaurateurs – comme Big Mamma et son Napoli Gang ou Rainbow Kitchen -, qui veulent valoriser le produit en créant la surprise chez le client au moment de l’ouverture, Gorillas surprend et améliore l’expérience client en multipliant les petites attentions. On peut citer par exemple des drapeaux et des kits de maquillage offerts pendant l’Euro de football ou les JO, ou encore la distribution gratuite de produits en fin de vie, des fruits et légumes aux pâtisseries. Sans oublier les fréquents échantillonnages réalisés dans le cadre d’opérations promotionnelles avec des marques nationales.
Et pour provoquer les achats d’impulsion, le service propose des sélections de produits, à l’instar de certaines enseignes partenaires d’Uber Eats ou de Deliveroo : apéritif, petit-déjeuner, barbecue ou encore sélection de glaces lors des fortes chaleurs. À l’avenir, ces services pourront aller plus loin en intégrant des modules de suggestion de produits, afin de permettre au client de constituer rapidement des recettes de repas complètes. Enfin, c’est grâce aux contenus que les solutions de livraison peuvent se distinguer : tout comme les enseignes misent sur des » sas apprenants » pour réinventer l’expérience en magasin, les pure players peuvent s’appuyer sur la demande de transparence venant des consommateurs pour expliquer leur process ou la provenance de leurs produits. Un levier dont s’est emparé Mon-Marché.fr : » Sur les réseaux ou via nos newsletters, nous communiquons beaucoup sur les normes HVE comme une alternative au bio. Nos clients peuvent scanner nos produits pour savoir où ils ont poussé. Enfin, nous avons aussi pris la parole pour aider les producteurs lors des épisodes de gel « , explique Gilles Raison, qui n’exclut pas un jour d’ouvrir un espace physique pour donner corps à cette démarche pédagogique et mettre en relation consommateurs et producteurs. Au printemps, un premier essai avait été mené à Paris, avec le passage d’un tracteur et d’une remorque place de l’Hôtel de Ville, place des Vosges ou encore à Boulogne- Billancourt. Au total, Mon-Marché.fr a distribué 3 tonnes de tomates et 1 tonne de cerises à quelque 4 000 Franciliens… en attendant, là encore, de prochaines initiatives similaires dans tout l’Hexagone ?
MAJ 06/09/21 : Depuis l’écriture de cet article, l’enseigne Carrefour a pris une participation au sein du Français Cajoo, qui a levé 40 millions d’euros, tandis que le britannique Dija était racheté par l’américain GoPuff. Le russe Yango Deli et le britannique Zapp se sont aussi implantés à Paris.
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