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Son nom ne vous dit pas forcément grand-chose, mais son culot oui. Souvenez-vous en 2005, quand l’ambitieux ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, promettait de « débarrasser » la dalle d’Argenteuil de « sa racaille », le jeune résident Abdellah Boudour nuançait alors « qu’il y avait aussi des jeunes qui voulaient réussir ». Pour cet acteur de la vie associative, la réussite, c’est avant tout l’orthographe et la bonne maîtrise de la langue de Molière. Avec son concept de « Dictée pour tous », le Franco-Algérien donne le goût de l’écriture à tous les publics : des quartiers populaires aux entreprises. Ses soutiens s’appellent Brigitte Macron, Gad Elmaleh ou Jean Pruvost. Entretien.
Comment est née cette initiative de dictées géantes, « La Dictée pour tous » ?
Abdellah Boudour : À chaque rentrée scolaire, j’organisais pour les familles les plus précaires d’Argenteuil (Val d’Oise), où j’ai grandi, une distribution de fournitures scolaires. Chaque année, les parents me sollicitaient pour organiser des actions autour de l’orthographe. Je me suis lancé, et j’ai tenté de faire une dictée au beau milieu du quartier… Et le succès a été au-delà de nos attentes ! Nous avions prévu une quarantaine de chaises et nous nous sommes retrouvés à 250 participants ! Il y a eu un véritable ‘buzz’ sur les réseaux sociaux et la presse a commencé à parler de nous. La Dictée pour tous était née. J’ai profité de l’engouement autour de cette première dictée pour défendre le concept en région afin de l’élargir au-delà de l’Ile-de-France.
J’ai ensuite lancé un championnat national sous le parrainage de plusieurs personnalités issues de différents domaines : des acteurs, des écrivains, des humoristes ou des sportifs qui ont accepté de faire la lecture d’une de nos dictées… Nous avons ainsi pu compter sur la présence du comédien Gad Elmaleh, des artistes Gim’s, l’Algérino, Dadju, des journalistes Maïtena Biraben, Emilie Tran-Nguyen, Djamel Mazi, Thibaud Vezirian ou Vicky Bogaert, de l’écrivaine Faïza Guène, et même la première Dame de France Brigitte Macron !
En fin d’année scolaire, nous réunissons les finalistes des différentes régions, dans un lieu historique, prestigieux. Nous avons pu réaliser des éditions au Château de Versailles, à l’Assemblée nationale, au Palais de l’Elysée ou encore au sein de la Tour Eiffel….
Vous attendiez-vous à un tel engouement parmi les habitants de votre quartier ?
A.B : Depuis l’âge de 16 ans, j’organise des actions dans mon quartier. J’ai toujours bénéficié de la confiance des habitants : ils sont mon premier public et ils se sont prêtés au jeu en répondant présents. J’ai été moi-même très surpris car j’avais sous-estimé leur plaisir d’écrire et de partager ce plaisir, en ne prévoyant que 40 chaises pour la première dictée.
Quels ont été vos premiers soutiens, et qui vous accompagnent aujourd’hui ?
A.B : Les premiers soutiens étaient les entrepreneurs natifs d’Argenteuil et qui ont réussi professionnellement. Ils ont vu une opportunité de valoriser la lecture et l’écriture auprès des futures générations. Nous soutenir était une façon de pousser ces nouvelles générations à être curieuses, ambitieuses et en se projetant au-delà de leur environnement. Ces entrepreneurs ont également été indispensables dans la pérennisation du concept. Ensuite, il y a eu la participation des institutions d’État (Ministère de la cohésion des territoires et celui de la Culture, Préfecture du Val d’Oise, Région Ile de France, plusieurs Départements, plusieurs agglomérations, la ville de Marseille…) très importante aussi, car c’est un projet qui fédère des milliers de personnes.
Nombreuses sont les villes de France qui ont organisées des dictées par la suite sous notre impulsion et notre bannière. C’est pour moi une fierté d’avoir rendu populaire un exercice classique de l’école. Je suis d’autant plus fier d’avoir pu le défendre et l’organiser en dehors des murs de l’Education nationale et ou d’une bibliothèque. Aujourd’hui, il y a également des entreprises à l’échelle nationale, qui nous soutiennent, comme la fondation Voltaire, l’association NQT (Nos Quartiers ont des Talents), le franchisé de burger GLD, le bailleur LogiRep, la boisson WAX ou encore l’agence Majorelle.
L’Agence gouvernementale ‘Agir contre l’Illettrisme’ alerte régulièrement sur ce fléau qui frappe près de 7% des actifs, soit 2,5 millions de personnes âgées entre 18 ans et 65 ans. Il est notamment pointé que cette problématique touche l’ensemble des couches de la société. Comment prévenir l’illettrisme ? Qu’est-ce qui coince ?
A.B : Le problème vient malheureusement du fait qu’on a de plus en plus de jeunes qui quittent l’école, et ce, à cause de l’échec scolaire. Les premiers emplois qu’ils intègrent sont très souvent des métiers manuels où on ne leur demande pas forcément un bon niveau de rédaction. Aussi, si le rôle de l’école est primordial, je pense qu’il en va aussi de la responsabilité des entreprises, qui pourraient proposer des cours de français (ou de remise à niveaux) aux étrangers qu’ils recrutent ou aux jeunes Français qui ne maîtrisent pas très bien la langue de Molière. Des pistes qui pourraient être un vrai plus.
L’illettrisme sanctionne une carrière. Une faute d’orthographe qualifiée « d’insuffisance professionnelle » par l’employeur peut mener au licenciement comme l’attestent certaines affaires médiatisées. Lorsque vous intervenez dans des entreprises pour organiser des Dictées pour tous, quelle est votre démarche ?
A.B : J’interviens au sein des entreprises et dans les centres de formations pour sensibiliser tout type de public à la langue mais aussi pour changer le rapport à l’orthographe. Pour beaucoup, l’épreuve de la dictée à l’école est synonyme de « traumatisme », j’essaie de dédramatiser l’exercice. Mon expérience et mon enthousiasme sont accueillis très chaleureusement. Car je mets mon savoir-faire au service des sociétés : les fautes d’orthographe susceptibles de faire dérailler une embauche ou de freiner une carrière sont la hantise des salariés comme des employeurs.
Nos évènements ont trois missions primordiales : tout d’abord, c’est de proposer un espace de rencontres et de divertissement autour des mots, ensuite, de changer le rapport à l’orthographe pour tous ceux qui ne se sentiraient pas suffisamment à l’aise, enfin, c’est aussi promouvoir le patrimoine linguistique et culturel français à travers la lecture de textes classiques.
Comment donner le goût de la lecture à la ‘Z’ génération très portée… sur les écrans, TikTok et autres jeux vidéos ?
A.B : Concernant la génération « Z », il faut utiliser leurs supports, il faut s’adapter à eux, à leurs pratiques, sinon on n’arrivera pas à leur (re)donner le goût de la lecture, de l’écriture et surtout à faire évoluer leur niveau d’orthographe. Le fait d’avoir à nos manifestations certains artistes à succès auprès des jeunes (l’Algérino, Mokobé, Gim’s ou Dadju… ) permet aux participants de voir l’exercice sous un nouvel angle, puisqu’il émane de quelqu’un qu’ils admirent, qui a de l’influence sur eux. On a remarqué que la participation des jeunes aux dictées était plus importante et devenait ‘une mode’ lorsque nous avions une star présente sur l’évènement. Il faut surtout que cela reste un jeu, avec une ambiance beaucoup moins stricte qu’elle le serait pour une dictée purement scolaire.
Beaucoup blâment la langue de Molière pour sa complexité, particulièrement à l’écrit. Comment désacraliser cet exercice ?
A.B : Pour nos dictées, nous utilisons différents types d’énoncés : des textes très simples et récents et d’autres plus classiques et plus complexes. La langue française est riche et s’enrichit chaque année ! L’expression « ma gâtée » du rappeur SCH va rentrer dans le petit Robert 2022, cela montre bien que la langue n’est pas figée, que les choses bougent, c’est ce qu’il faut expliquer aux jeunes.
Sur quels projets travaillez-vous ?
A.B : Mes projets dans l’immédiat : continuer de pérenniser le championnat national de La Dictée pour tous. Nous avons vraiment hâte de refaire des Dictées en présentiel !
Je souhaite également poursuivre le travail de développement de La Dictée pour tous dans tous les pays francophones, et aussi à l’international ! Enfin, nous voulons recentrer nos efforts sur la plateforme de stages (www.faislejob.fr ) pour les jeunes collégiens de nos quartiers. Côté actualité, nous avons lancé un grand concours d’écriture national sur la thématique du respect. Le concours est ouvert à tous, nous encourageons chacun à nous écrire – sous la forme qu’il souhaite – sur ce que la notion de respect lui inspire !
Abdellah Boudour dans 10 ans ?
A.B : Professionnellement, j’aimerais réaliser de nouveaux projets en France et à l’étranger mais, surtout, continuer à déléguer ces nouveaux concepts, pour influencer les mentalités dans nos quartiers. J’aimerais que les gens s’emparent de La Dictée pour tous et que ‘ce bébé’ n’ait plus besoin de moi pour exister ! J’aimerais aussi continuer à créer des passerelles entre la jeunesse et le monde de l’entreprise.
Et puis tout de même, voyager ! En Afrique notamment, pour m’engager auprès de la jeunesse de nombreux pays de ce beau continent.
Pour aller plus loin : La Dictée pour tous
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