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Heureux qui comme Ulysse… Né à Berlin, en 1938, dans une famille de brasseur d’origine hollandaise, Kim Moltzer a échappé à la guerre tout en ayant une jeunesse mouvementée puisqu’il a été élevé en Amérique du Sud -principalement en Argentine et au Brésil- avant de revenir en Europe terminer ses études. D’abord à Lausanne où il suit des cours à l’école polytechnique, tout en étudiant l’architecture, puis à Paris à l’institut d’étude politique. A la lecture de son curriculum vitae, on comprend que Kim Moltzer a hésité avant de choisir une profession artistique. A quoi vont lui servir ses études de sciences politiques dans le milieu de l’art et de la décoration ? L’effervescence et la créativité des années 60 emportent les hésitations de Kim. Les liens d’amitiés qu’il entretient avec l’architecte Jean-Paul Barray, l’aide à sauter le pas. Ensemble, en 1966, ils fondent l’E.C.F.I., un bureau d’Études et de Construction de Forme Industrielle. A mesure qu’on se rapproche de Mai 68, les frontières qui séparaient le monde de l’art et de la décoration, cèdent sous la pression d’une jeunesse en pleine ébullition.
Tout est permis. Tout est à réinventer. Kim va s’en donner à cœur joie. Ce n’est pas par hasard si les mots styliste et designer font leur apparition. C’est d’ailleurs tout le vocabulaire de la décoration qui explose : altuglas, plexiglass, aluminium, acier inoxydable, polyester, polyuréthane, stratifié, formica, skaï… Kim Moltzer aime confronter ces nouveaux matériaux à des formes extrêmement élaborées :
dodécaèdre, parallélépipède, pentagone, hexagone… Il ira jusqu’à plier une feuille d’acier, en deux, en quatre et en six, pour en faire un fauteuil qui s’ouvre comme une cocotte en papier dont il épouse les arêtes. Kim déborde d’énergie et, tous les ans, seul ou avec son associé, il lance de nouvelles lignes de meubles et de luminaires et multiplie les collaborations : la ligne Rosace, la ligne Pampa ; collaboration avec le décorateur Henri Samuel, avec le coiffeur Alexandre dont il réaménage les salons, avec Daisy de Galard, productrice de l’émission Dim Dam Dom, pour qui il invente des meubles en carton ; mais aussi collaboration avec une clientèle triée sur le volet qui comprend, entre autre, les Rothschild, les Seydoux et le couple Pompidou.
KIM LE SCULPTEUR
Kim Moltzer a donc participé aux trépidations des années 60, mais ce qui le différencie des autres créateurs de meubles de sa génération, c’est son refus de se laisser enfermer dans une seule discipline. Il abuse de la permission qu’ont les artistes d’être inclassables. Même physiquement il ne ressemble pas à un artiste. C’est plutôt une force de la nature qui ne demande qu’à se dépenser. Un épicurien qui dévore la vie à pleine dents. Il aime faire travailler son imagination et tout lui est bon pour faire travailler son imagination. La cuisine qu’il pratique en cordon bleu lui procure autant de plaisir que de créer des meubles ou jardiner. C’est aussi un cavalier hors pair (il élève d’ailleurs des chevaux), un chineur très habile, un dandy qui s’habille à Londres, un polyglotte qui parle six langues.
Tour à tour architecte, paysagiste, jardinier, designer, cuisinier, décorateur… et châtelain ! On ne peut, en effet, retracer la carrière de Kim Moltzer sans évoquer le domaine de Bailleul et son château de la Renaissance (dans la famille de son épouse depuis de X° siècle), d’autant que Bailleul va donner un second souffle à sa carrière. Quand on aime faire travailler son imagination, Bailleul offre des contrées lointaines où galoper : dix siècles d’histoire ! Au figuré, mais aussi au sens propre : les 50 hectares du parc du château vont donner à Kim l’occasion de se surpasser. Il entreprend des travaux gigantesque pour lui rendre sa simplicité de la Renaissance tout en lui ajoutant une touche poétique qui jusque-là lui faisait défaut. Poétique ce labyrinthe de conte de fée, ces taupières de houx en forme de tortues géantes, ces carrés de plantes aromatiques et médicinales (pas moins de 47 espèces différentes, toutes étiquetées en latin). Poétique le bassin de nénuphars qui enchante la grande serre, poétique encore ces massifs de gunnera (une plante tropicale que Kim a réussi à acclimater en Normandie) dont les feuilles gigantesques viennent mourir en vagues successives le long des allées. Ni à la française, ni à l’italienne, ni à l’anglaise, c’est un jardin à part dans l’histoire des jardins. On peut le considérer comme un des chefs d’œuvre de Kim Moltzer, mais surtout ce retour à la nature l’invite à repenser son travail.
KIM L’ÉPICURIEN
Un peu las de modernité et perplexe devant la tournure que prend la décoration dans les années 90, il cherche une nouvelle manière de s’exprimer. Ou plutôt une nouvelle « matière » pour s’exprimer : le bronze sera la solution. Quelle autre réponse trouver quand on cherche un compromis entre œuvres d’art et objets de la vie de tous les jours ? L’âge de bronze de Kim Moltzer est en train de naître. Une manière pour lui de regrouper ses talents de paysagiste et de designer en créant de nouvelles lignes de meubles inspirés par la nature et qui sont de véritables sculptures : la ligne « Apio », en référence au céleri, la ligne « Bambou » qui, comme son nom l’indique s’inspire des tiges de bambou (avec lesquels il va mettre au point d’importants lampadaires dont les ampoules sont insérées dans des cônes en forme de chapeau chinois) et une ligne « Gunnera » (cette plante chéri de Kim) qu’il décline en fauteuil, en tabouret et en lustre. Cet âge de bronze donnera également naissance à tout un bestiaire surréaliste : des lampes pic bœuf, un lampadaire tortue, mais aussi une tortue en feuilles de choux, des crabes, des hippocampes, des caméléons, « une cochonnette piquante » enfermée dans une gangue de châtaigne, des tables basses à oreilles d’éléphant et mille autre inventions loufoques comme ces fagots de brindilles montés en chenet. Certaines vies ont le chic de décrire une boucle pour venir se refermer là où elles ont commencé : avec ces créations inspirées par la nature Kim Moltzer renouait avec les émotions de son enfance passée au milieu d’une végétation
tropicale dont il avait gardé les images gravées au plus profond cœur.
Francis Dorléans
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