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BD Manifeste 343 combat avortement Adeline Laffite | BD Manifeste 343 combat avortement Adeline Laffite
A travers le destin de femmes courageuses, connues et inconnues qui ont signé le «manifeste des 343», ce « roman graphique » revient sur l’origine d’un mouvement qui sera le point de départ de légalisation de l’avortement avec la loi Veil. Un devoir de mémoire porté par la plume aussi incisive que sensible d’Adeline Laffite, scénariste et ancienne journaliste aux côtés d’Hélène Strag, et dont le joli coup de crayon de Hervé Duphot ne gâche rien. Une bande-dessinée à acheter en deux exemplaires : un à laisser en évidence sur la table du salon, un second à offrir. Rencontre.
Désirée de Lamarzelle : La BD porte sur la légalisation de l’avortement acquise en France depuis 1975. Considériez-vous le combat encore d’actualité ?
Adeline Laffite : Ce retour dans le passé nous a paru essentiel parce qu’actuellement, même si les Argentines viennent d’obtenir le droit d’avorter librement (le 30 décembre 2020), il existe encore de très nombreux pays où des femmes meurent d’avortements clandestins* et les acquis en ce domaine sont fragiles. Certains États aux USA reviennent sur ce droit. En France, le problème actuel c’est plutôt l’accessibilité à l’IVG. Il faut donc se remémorer ce que signifiait être une femme « prisonnière » de sa biologie, en l’absence (ou quasi) de contraception, obligée de s’en remettre aux mains d’une faiseuse d’anges. A l’époque, la peur du gendarme s’ajoutait à la peur de la douleur et parfois de la mort. C’est une réalité terrible.
Vous êtes scénariste. Pourquoi avoir choisi le format de la BD ?
A. L. : Le format BD s’est justement imposé parce qu’il permet de mettre des images, parfois sans les mots, sur des moments tragiques, c’est une façon de dire « ouvrez les yeux ». Et les dessins d’Hervé Duphot apportent la sensibilité nécessaire pour ne pas heurter.
Quelle similitude peut-on établir entre le Manifeste et #metoo ?
A. L. : Les militantes du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) au début des années 70 racontent très bien que, lors des réunions non mixtes, elles pouvaient parler de choses intimes. Au cours de ces discussions, elles se reconnaissaient dans le vécu des autres ! Cela allait des tâches domestiques qui leur incombaient aux violences qu’elles subissaient dans la rue, au sein de leur foyer… Plusieurs d’entre elles nous ont dit à ce moment-là : « moi aussi, cela me concernait », c’était ça le « mouvement des femmes ». Je pense que ce« moi aussi » était déjà précurseur du hashtag metoo.
Quelle serait votre définition du féminisme ?
A. L. : Je ne suis pas sûre qu’il y ait « une » définition du féminisme. C’est une grille de lecture de la société mais les résultats peuvent se révéler divers. Mon sentiment, c’est qu’on observe aujourd’hui différents courants, qui ne sont pas tous d’accord. Mais dans les années, 70 au moment de ce que les historiens appellent la deuxième vague du féminisme, il y avait aussi différents groupes, avec des idées également différentes. Il me semble plus intéressant de souligner les similitudes entre ces deux générations, à 50 ans écart : le discours cash, la volonté de mettre les pieds dans le plat… Et il me semble important de dire qu’il n’y a pas de générations spontanées, il y a une forme de filiation, les combats avancent parce qu’on ne repart pas complètement de zéro. Or, si on oublie les luttes précédentes, alors c’est le reset et on avance lentement.
Avec le succès de la BD avez-vous d’autres projets similaires ?
A. L. : Les récits de fiction en général me font envie. Avant d’être scénariste, j’étais journaliste, un métier dont la déontologie dicte de rester du côté des faits. Aujourd’hui je trouve passionnant d’aller creuser du côté des émotions, même – et surtout – lorsque le sujet est très « sociétal ». Une tendance, quelque chose qui est dans l’air du temps, a un impact intéressant à explorer ou révèle des facettes jusque là muette de nos concitoyens. Qu’il s’agisse de roman graphique, ou de fiction télé, c’est ce que qui m’intéresse : raconter la société par le biais des émotions individuelles.
Quel travail en amont représente l’écriture de votre bande-dessinée ?
A. L. : Il y a d’abord eu un travail d’enquête assez classique : documentation, livres, biographies et puis des interviews en complément pour vérifier et compléter. Toute cette phase a été menée avec ma co-scénariste, Hélène Strag. Ensuite, il nous a fallu « scénariser » l’histoire. Nous ne voulions pas une BD pédago ou documentaire mais un « vrai » récit. Cela impliquait de choisir notre personnage, celle par qui nous entrerions dans l’histoire, et nous avons choisi notre personnage de Nicole, inspirée de la journaliste du Nouvel Observateur, Nicole Muchnik, qui, à l’époque, a eu cette idée de Manifeste et est allée trouver le MLF pour qu’elles portent l’action. Nous avons également mis de la fiction, changé des noms, inventé des personnages, pour nourrir le récit. C’est davantage une « fiction librement inspirée de faits réels » qu’une histoire 100% vraie. Si nous avions choisi de respecter complètement les faits, il nous aurait fallu avoir les points de vue de tous les acteurs de l’époque, sans parti pris d’auteur, et ça c’est un travail de transmission journalistique.
Le meilleur compliment que l’on puisse vous faire ?
A. L. : Dans ce livre, il y a une démarche évidente de devoir de mémoire pour le courage de ces combattantes mais aussi le désir qu’on n’oublie pas le sort des femmes « avant » la loi Veil. Quand un/e lecteur me dit qu’il n’imaginait pas comment cela se passait avant, j’ai l’impression qu’on a été utile. Mais, si le lecteur me dit qu’il a trouvé l’histoire émouvante, qu’il a été touché, alors je crois que c’est le plus beau des compliments.
*D’après l’OMS, 45% des avortements dans le monde sont des avortements clandestins.
« Le Manifeste des 343. Histoire d’un combat ». Scénario : Adeline Laffite et Hélène Strag. Dessins : Hervé Duphot. Ed. Marabulles, 144 p. 17, 95€.
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