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Republication d’un article de The Conversation France
N
ous ne sommes pas des individus rationnels. Notre prise de décision est affectée par de nombreuses erreurs systématiques que nous faisons. Ces erreurs systématiques sont appelées des biais psychologiques, et ils rendent imparfait notre calcul cognitif. En particulier, en fonction de la manière dont l’information à laquelle nous avons accès nous est présentée, nous allons la percevoir différemment, et ceci est appelé « l’effet de cadrage » (ou de framing) : nos choix seront orientés, en fonction d’un simple cadrage, qui a des connotations qui peuvent être perçues comme ayant des conséquences positives ou négatives.
Dans un cadrage positif, on a l’impression qu’un gain est possible et peut être attendu à la suite de notre choix ; dans un cadrage négatif, on anticipe une perte. Il est donc naturel de comprendre que nous allons préférer des choix qui nous donnent l’impression de gagner plutôt que de perdre quelque chose, même si, mathématiquement parlant, il s’agit de la même situation.
L’exemple typique, qui a été popularisé par la théorie des perspectives, et qui est surprenant d’actualité, est celui dans lequel les individus doivent se prononcer sur le choix d’un traitement pour 600 personnes en proie à une maladie potentiellement mortelle, traitement qui est présenté soit dans un cadrage positif comme permettant de sauver 200 vies, soit dans un cadrage négatif, menant à la mort de 400 personnes.
Effectivement, mathématiquement, les effets sont donc les mêmes. Cependant, les individus sont 72 % à choisir le traitement lorsque celui-ci est présenté dans une perspective de gain (sauver des vies) et seulement 22 % lorsqu’il est présenté dans une perspective de perte (de vies humaines).
Cadrage négatif
Cet effet est populaire et souvent pris en considération dans les campagnes de communication, et l’appliquer aujourd’hui permettrait au gouvernement de faire accepter plus facilement la règle de « six à table à Noël » aux Français. Comment ?
Alors que pendant de longs mois l’effort de confinement et des gestes barrières a été bâti sur un appel à la responsabilisation et à la contribution au bien commun, et que cette situation était cadrée de manière positive, nous sommes actuellement dans un cadrage négatif. Malheureusement, l’appel à « sauver Noël » en réduisant le nombre de convives à six à table sans les enfants a été perçu par les Français comme une possibilité de perdre justement cette fête, qui est celle des rassemblements familiaux, perdre quelque chose telle que l’on l’a connue (perdre donc, pas « sauver », malgré la présence du mot).
En comparaison avec la sortie du premier confinement, lorsque la « libération » s’est faite naturellement, sans des appels à sauver quelque chose que l’on pourrait perdre, cette sortie (partielle) de déconfinement est assortie d’un nombre, le « six à table », ce qui change la donne. Mais en communiquant sur la possibilité de perdre cette fête et le fameux repas de Noël, le cadrage négatif opère : gagner la possibilité de passer Noël en famille élargie nous aurait (peut-être) procuré de la satisfaction, mais dans une moindre mesure que l’insatisfaction que provoquerait une perte similaire.
Regardons les statistiques : la taille moyenne d’un foyer en France est légèrement au-dessus de deux personnes ; les Français ont l’habitude de passer Noël avec les enfants et les petits-enfants. On aurait donc de toute manière anticipé des repas de réveillon de 6 adultes à tables en moyenne dans les familles élargies. Donc le chiffre 6, on le tenait, il n’y avait pas besoin de communiquer dessus. Qui plus est, un Français sur trois déclare ne pas aimer passer cette fête dans des repas obligatoires de famille, en particulier avec la belle famille. Il y aurait donc eu toute une partie de la population qui n’aurait pas visité la belle famille à cette époque.
« Passez Noël sans vos beaux-parents ! »
La conséquence : on s’y accroche coûte que coûte, on va éviter de perdre, on va donc « sauver » Noël, au prix de faire en sorte d’être six ou plus de six en trichant. En effet, nos recherches montrent que lorsqu’on a quelque chose à perdre, on est prêt à tricher pour ne pas le perdre. On est donc prêt à dépasser la règle de six à table.
Peut-on encore faire quelque chose ? Nous sommes passés d’une situation d’appel à la responsabilisation à une situation d’évitement de la tricherie. Il faudrait donc se concentrer sur des outils comportementaux simples qui ont prouvé leur efficacité. En effet, il est démontré que les individus restent moins enclins à tricher si la situation est cadrée positivement, si le rappel des règles vertueuses est opéré, si leurs actions sont visibles, si les individus se sentent efficaces et impliqués dans leur prise de décision.
Premièrement, faire appel au sens de l’identité partagée et rendre cette identité visible. Il faut donner à voir par des photos, de la présence sur les réseaux, des communautés et des signes externes les familles qui passent Noël ensemble. En rendant visible l’identité d’un groupe vertueux (ceux qui respectent les consignes du gouvernement) et la norme sociale existante, on signale que le gain des uns n’est pas la perte des autres, que les rassemblements de famille ne sont pas un jeu à somme nulle dans lequel le fait que certains gagnent équivaut forcément au fait que certains autres perdent. On annulerait donc le cadrage négatif et on réduirait la possibilité de tricher.
Deuxièmement, remplacer « distanciation sociale » par « distanciation physique » en insistant sur des modes alternatifs de fêter Noël en famille élargie, et en insistant et en rappelant les gains que l’on pourrait espérer. Il est difficile de s’imaginer le premier ministre Jean Castex faire usage de l’humour de second degré, mais un cadrage positif de type « cette année, vous avez la possibilité de passer Noël sans la belle-famille » aurait un effet signal de rappel de gains et satisfaction possibles tout en ayant un comportement vertueux et de longue durée.
La distanciation physique permettrait une gestion des émotions en évitant les tensions découlant de décisions en urgence ; en effet, les individus prennent des décisions plus égoïstes en urgence, sont plus susceptibles de tricher : à peu près à la même époque à laquelle le Titanic a coulé, un autre grand paquebot a coulé, le Lusitania. À la différence du premier, qui a coulé pendant des heures, le second a sombré en quelques minutes. Le bilan humain a été très différent : sur le Titanic, la règle « les femmes et les enfants d’abord » a été mise en place, contrairement au Lusitania, où, dans l’urgence, ont survécu surtout les hommes jeunes.
Angela Sutan est professeure en économie comportementale, Burgundy School of Business et Rustam Romaniuc, est professeur associé en économie comportementale, Burgundy School of Business
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