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Le 4ème plan gouvernemental pour l’autisme, qui court de 2018 à 2022, est à mi-parcours. Mais que retirer des bénéfices de ces 340 millions d’euros investis ? Sur l’engagement 4, « soutenir la pleine citoyenneté des adultes « , la délégation interministérielle en charge de cette stratégie se félicite de la mise en place du dispositif de l’emploi accompagné qui combine suivi médico-social et insertion professionnelle de ces travailleurs handicapés. Pour autant, dans les faits, les entreprises ne prennent pas encore ce sujet à bras le corps.
Entre 76 et 90% des personnes autistes restent sans emploi, selon Autisme Europe. « Nous sommes tous différents neurologiquement, la diversité des cerveaux humaines est une richesse et il faut encourager les entreprises à tirer profit de ces particularités » , martèle Sandrine Charpentier, CEO de la startup Mixity, qui propose aux entreprises d’évaluer la diversité des profils dans leurs équipes. « Mais trop peu investissent le sujet aujourd’hui » , se désolait-elle lors du Webinar « Diversité et Inclusion sur la neurodiversité en entreprise », le 8 décembre dernier.
En effet, selon une étude publiée dans le Harvard Business Review en 2018, seulement 10% d’entre elles ont une politique encourageant la neurodiversité – terme qui regroupe les personnes connues comme dyspraxiques, dyslexiques, souffrant de TDAH (troubles de l’hyperactivité), de troubles du spectre de l’autisme, de Gilles de La Tourette et d’autres.
Trop de préjugés
« Les sociétés ont aujourd’hui des procédures de sourcing très stéréotypées, elles cherchent des jeunes diplômés de moins de 35 ans, bac+5, avec deux ou trois ans d’ancienneté dans une entreprise, s’attriste Laurent Delannoy, fondateur d’Avencod, une startup de sous-traitance informatique dont 18 des 22 collaborateurs sont handicapés, et, parmi eux, 13 personnes autistes. Les personnes souffrant de ce handicap sont, dans ces cas-là, automatiquement exclues » .
« La question de l’accompagnement des adultes autistes est beaucoup moins investie que celle de la prise en charge des enfants, ajoute Ana Pellereau, chargée de mission sur l’insertion professionnelle du CRA (Centre Ressources Autisme) du Nord-Pas-de-Calais. On est en train de rattraper ce retard en essayant d’informer sur l’autisme, petit dernier arrivé dans la grande famille des handicaps sur le marché du travail, qui souffre de trop de préjugés » , pointe cette professionnelle. Son rôle consiste, entre autres, à lutter contre la polarisation de l’image communément faite des personnes autistes, « soit totalement déficitaires, soit à l’inverse perçus comme des génies, voire des messies« .
Pourtant, nombreuses sont les expériences qui prouvent la richesse d’intégrer des personnes autistes dans ses équipes. Flora Tiébaut, psychologue clinicienne en neurosciences cognitives et fondatrice d’Auticonsult, entreprise de services numériques qui emploie des consultants sur le spectre de l’autisme, en est convaincue. « Les particularités cognitives des personnes autistes apportent énormément aux équipes comme la précision, la sensibilité aux erreurs… On valorise aussi chez eux la manière de penser ‘out of the box’, qui représente un vrai vecteur d’innovation, de perception avec des solutions qui n’entrent pas dans le moule » , insiste la chercheuse, qui précise que les consultants n’entrent pas dans le quota handicap de leurs clients. Une série de qualités à laquelle Ana Pellereau ajoute la ponctualité et l’honnêteté. « Une expérience réelle de collaboration avec un consultant autiste pendant 6 mois vaut 10 ans de sensibilisation théorique » , appuie Flora Thiébaut.
Même constat pour Laurent Delannoy qui vante les qualités des « avencodeurs » autistes qui travaillent pour sa startup. « Nous avons inversé les curseurs du monde ordinaire en embauchant plus de personnes handicapées que de personnes dites ‘neurotypiques’, explique-t-il. Et s’il y a énormément de formes d’autisme, les qualités récurrentes chez ces personnes sont souvent leur rigueur, leur sens du détail et leur capacité d’analyse. On le voit tous les jours, en informatique, c’est un vrai atout » . La formule est gagnante puisque qu’Avencod a déjà gagné la confiance de clients comme Amadeus, Thales, CMA CGM ou encore l’INRAE.
Processus de recrutement discriminants
Mais accueillir des personnes autistes dans ses équipes signifie aussi déployer un cadre et des pratiques managériales adaptées au besoin des salariés. « Nous avons un coach individuel pour 8 à 10 consultants » , détaille la fondatrice d’Auticonsult . « L’idée est de développer une relation de confiance avec chacun d’entre eux pour construire des adaptations sur mesure tout au long de la mission » . Flora Thiébaut porte aussi un intérêt particulier à la question de l’entretien d’embauche, souvent un vrai caillou dans la chaussure des personnes souffrant de TSA (troubles du spectre autistique).
« Les processus de recrutement ordinaires sont très discriminants pour les personnes qui ont des difficultés sur l’aspect social. Une personne autiste ne saura pas ce que la personne en face veut entendre pour se faire recruter. Un collègue m’a expliqué avoir échoué parce qu’on lui demandait ce qui faisait de lui un meilleur candidat que les autres. Question à laquelle il a répondu : je ne sais pas, je ne les connais pas » , s’amuse-t-elle. Celle-ci insiste sur l’importance d’identifier les forces réelles nécessaires pour le recrutement, de bannir les formules du type « bonne présentation et communication obligatoire » sur les fiches de poste et de préférer les mises en situation réelles à la communication verbale.
De son côté, Laurent Delannoy a pensé les locaux de sa startup dans le but de construire un environnement agréable pour ses salariés autistes. « On fait très attention à la gestion du bruit, de la lumière et de la température des bureaux » , développe-t-il. Cela passe par des casques absorbeurs de bruit, aucune sonnerie de téléphone mais une communication avec les clients via des chatrooms virtuelles privées, ou encore une salle de repos avec de grands fauteuils pour pouvoir se reposer en cas de besoin pour prendre en compte la fatigue ou les angoisses de ces salariés.
L’entrepreneur, qui a fondé Avencod avec sa femme, travaille aussi avec des psychologues, « pas comme des docteurs qui viennent voir des patients« , mais pour comprendre les systèmes autistiques et construire une relation de confiance, de bienveillance entre le collaborateur et le manager. Pendant le confinement, où le télétravail a été particulièrement éprouvant pour les travailleurs autistes, la société a aussi mis à disposition la possibilité pour les salariés de contacter un psychologue à tout moment.
De la bonne volonté mais trop peu d’action
Pour aider les entreprises qui veulent être plus inclusives, des solutions existent. « Si les sociétés sont la plupart du temps de bonne volonté, elles ont souvent peur de ne pas savoir comment faire, que ça ne leur demande trop de temps et d’investissement, constate Ana Pellereau. Nous voulons les rassurer en leur disant que des structures d’accompagnement sont là pour les entreprises, et que les CRA (Centres Ressources Autisme) en font partie » . Cette chargée de mission du CRA du Nord-Pas-de-Calais a d’ailleurs allié ses forces au CRA d’Alsace pour créer un kit, « à propos d’autisme » , destiné aux employeurs pour les guider dans l’insertion professionnelle des personnes souffrant de ce handicap.
Pour ceux qui ont franchi le cap, le pari est gagnant : « Nous voulons continuer d’élargir notre initiative dans les métiers du numérique, confirme Laurent Delannoy. Notre objectif est d’augmenter l’employabilité de nos collaborateurs en leur permettant d’accéder à une expérience professionnelle. Le but est finalement de les voir aller vers d’autres entreprises » . Il se réjouit d’ailleurs d’avoir vu partir, ces deux dernières années, six de ses anciens collaborateurs autistes vers des sociétés dans un milieu plus « classique ».
17 décembre 2020 / 08H00
mis à jour le 16 décembre 2020
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