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Comment expliquer l’absence de dirigeantes dans les entreprises du CAC 40 ? Est-ce que le manque de rôle modèle, de représentativité, peut à lui seul expliquer cette asymétrie ? Ou y a-t-il un cadre professionnel dans lequel les femmes manifesteraient plus franchement leur motivation à diriger ?
Zéro. C’est le nombre de femmes dirigeantes du CAC ! Isabelle Kocher chez Engie a été la première directrice générale « non héritière » du CAC 40. Depuis son départ en février 2020, il n’y a plus aucune femme. Et ce n’est pas beaucoup mieux dans le SBF 120, qui regroupe les 120 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse : les femmes dirigeantes sont à peine une dizaine.
Bien sûr, pour contrer cette tendance, il faudrait actionner encore le levier du rôle modèle C’est très simple : plus les femmes peuvent s’identifier à des dirigeantes, plus elles se projettent, plus elles se permettent d’y aller ! Et par la même occasion, elles mettent à mal le stéréotype réducteur du dirigeant homme quadra-quinqua diplômé de grande école coopté par ses pairs et bénéficiant des bons réseaux. En 2011, la loi Copé-Zimmerman a eu pour objet d’influer sur ces rôles modèles : elle a légiféré sur la mixité dans les conseils d’administration et de surveillance dans les grandes entreprises françaises. Résultat, si en 2011, on avait 10% de femmes aux conseils d’administration, en 2020 on arrive à 45%. Hélas, cela n’a pas généré de dynamique paritaire dans les comités exécutifs et les instances dirigeantes. Que faut-il faire de plus pour sortir de cette situation encore ahurissante ? La loi Copé-Zimmerman pourrait-elle s’adresser aux instances dirigeantes ? Parce que c’est insensé, elles sont majoritaires à rafler les mentions au bac, à intégrer les grandes écoles, à sortir des diplômes de 3ème cycle, forment la moitié de l’emploi, elles sont repérées comme haut-potentiel mais n’ont pas accès aux comités dirigeants. Est-ce un effet insidieux de l’intériorisation de la domination masculine ? Ou, osons poser la question, est-ce que dans la motivation des femmes il manque quelque chose de spécifique- dans la prise de décision, dans la persévérance, dans l’intensité de l’action, dans la clarté dans la direction – pour être PDG, DG de ces gros paquebots ?
Grâce aux travaux de Carol Gilligan, psychologue et philosophe américaine, on comprend qu’on peut être féministe et pointer une singularité de la motivation féminine. En 1982, elle défend dans son livre ‘Une voix différente. Pour une éthique du care’, un ouvrage majeur de la deuxième vague féministe aux États-Unis que, dans un grand nombre de cas, les femmes ne se mettent pas en premier dans une décision. Avant de trancher, d’entamer un tournant, elles interrogent l’équilibre et la stabilité d’un système. Gilligan démontre ainsi que leur raisonnement repose sur une compréhension des particularités de la situation et des relations entre les personnes. Cela aboutit à une morale du soin appelé «le « care » : les individus prennent quotidiennement soin des autres qu’ils soient les clients, fournisseurs, salariés et que ce n’est pas incompatible avec la rentabilité. Selon Gilligan, la motivation des femmes serait souvent sous-tendue par la prise en compte des besoins d’autrui quand celle des hommes serait sous-tendue par une construction de réussite individuelle qui fait davantage de place à la compétition. Cette vision essentialiste est tout aussi passionnante que critiquable. D’ailleurs la politologue Américaine Joan Tronto souligne que les hommes quand ils sont pompiers, policiers ou soignants manifestent évidemment leurs dispositions pour le care. Et elle a évidemment raison.
On ne va pas s’abaisser à se demander dans quelle proportion le « care » est, « par nature » ou « par culture », féminin ou masculin. Ce serait peu fructueux ! Mais, il est vrai que certaines femmes expriment de la démotivation, quand pour diriger, elles ont l’impression qu’on attend d’elle de tronquer drastiquement ce « care » au profit de l’esprit de compétition. On peut en déduire que probablement plus de femmes seraient motivées pour gérer ces grandes entreprises si étendre cette notion de « care », la partager, la faire vivre leur apportait de la reconnaissance. Seulement, est-ce que les entreprises du CAC40 attendent sincèrement la primauté du « care » sur l’esprit de compétition chez un dirigeant aujourd’hui ? Ou même seulement la coexistence du « care » et de l’esprit de compétition ? Et, est-ce un vœu pieux d’imaginer un capitalisme rénové qui donnerait peut-être à plus de femmes l’envie de prendre les manettes ?
Faisons un détour, revenons sur la célèbre théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000) pour comprendre : Il existe plusieurs natures de motivation —la motivation autonome et la motivation contrôlée — et la nature de motivation a généralement plus d’importance que son intensité. La motivation autonome implique que l’individu se comporte en ayant pleinement le sentiment d’un libre choix, alors que la motivation contrôlée suppose que la personne agit plutôt sous l’influence de pressions et d’exigences. La motivation autonome est une énergie solide, source d’une plus grande persistance, d’une meilleure santé mentale, de moins d’épuisement professionnel, de meilleurs résultats et de plus créativité. Et ce qui nous intéresse particulièrement, c’est qu’une des causes du surgissement de cette motivation autonome, de cette autodétermination si précieuse, est l’expression d’une valeur propre à l’individu, d’une qualité qu’il désire incarner.
Ainsi, si nous pouvions inventer un capitalisme rénové où ce « care » serait réellement attendu, de nombreuses femmes et évidemment d’autres hommes se déclareraient probablement désireux de diriger car ils pourraient faire vivre quelque chose qui leur tient à cœur, cette valeur qu’est le « care ». C’est bien de la motivation autonome, de l’autodétermination, qui jaillirait dans notre économie et donc une potentialité de résultats significatifs. Diriger aurait un nouveau sens : Etre profitable, bien sûr, mais en étendant le « care » au-delà de la vie privée, de la famille ; simplement parce que c’est une attention aux autres qui rend le monde vivable. On aurait un espace accru pour accueillir un nouveau profil de dirigeants : et il ne serait peut-être pas 100% masculin.
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