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Pour les entreprises qui impriment des billets de banque, l’hyperinflation est un miracle et les transactions numériques sont un danger. Voici comment le groupe allemand Giesecke+Devrient est parvenu à prospérer, malgré une appétence globale pour les paiements électroniques et une faible inflation.
Si un secteur pouvait être imagé avec des nuages noirs à l’horizon, ce serait sans doute l’impression de billets de banque. Aux États-Unis, la production des billets incombe au Bureau de la gravure et de l’impression, rattaché au Trésor des États-Unis, mais dans de nombreux pays (l’Arménie, le Pérou, la Thaïlande ou le Swaziland), la monnaie est en fait imprimée par une poignée de sociétés. La plus grande d’entre elles, basée à Munich, se nomme Giesecke+Devrient (G+D).
Le mois dernier, l’entreprise d’impression, fondée il y a 168 ans, a réalisé son premier investissement dans la blockchain. Elle a procédé à un financement en série A à hauteur de 17 millions de dollars dans Metaco, une start-up suisse fournissant des services de garde pour les bitcoins et les stablecoins, un nouveau type de cryoptomonnaie alimenté par la blockchain, mais soutenu par des monnaies fiduciaires, comme le dollar américain. Cette start-up serait un complément parfait au nouveau logiciel dévoilé par Giesecke+Devrient en 2019, Filia, qui permet aux banques centrales d’utiliser la technologie des registres distribués pour émettre des versions numériques de leur propre monnaie.
Parmi les banques centrales clientes de G+D, six sont déjà en négociation pour utiliser Filia afin de créer leur propre monnaie digitale de banque centrale (MDBC), alors que la Chine se prépare à devenir le premier pays à lancer sa propre monnaie basée sur la blockchain. Selon Ralf Wintergerst, PDG du groupe allemand, le secteur de la création de monnaie est à l’aube d’une révolution technologique qui fusionnerait le meilleur du monde physique avec le meilleur du monde virtuel.
L’imprimeur G+D est encore profondément enraciné dans le secteur de la monnaie fiduciaire, pourtant la direction ne pourrait être plus enthousiaste quant aux paiements numériques. La pandémie de Covid-19 (et le risque inhérent lié à la manipulation de monnaie) a accéléré les tendances à la dématérialisation dans les pays développés, comme les États-Unis. Des applications de paiement telles que Venmo, Zelle et Cash App ont vu leur nombre d’utilisateurs augmenter drastiquement depuis quelques mois. Par exemple, Zelle a vu son volume de transactions augmenter de 63 % au cours du premier semestre 2020, pour atteindre plus de 133 milliards de dollars.
« L’existence de plusieurs moyens de paiement est logique d’un point de vue holistique », explique Ralf Wintergerst en référence au fait que le besoin de monnaie papier durable et infalsifiable reste fort, et ce, malgré l’essor des paiements électroniques. « Il doit y avoir un moyen de paiement qui puisse encore fonctionner lorsqu’il n’y a plus d’électricité, ou lorsqu’on ne veut pas laisser de trace ». En réalité, il y a encore aujourd’hui en circulation 8 000 milliards de dollars en espèces (un montant qui augmente de 3 à 5 % par an), et plus de la moitié de toutes les transactions de la planète se font aujourd’hui avec de la monnaie fiduciaire.
En 2019, 46 % du chiffre d’affaires de G+D (qui représente 2,9 milliards de dollars) provenaient de sa division de technologie monétaire, qui comprend ses services de conception et d’impression de billets de banque, emploie 4 800 personnes et travaille avec 145 des 195 banques centrales du monde. Bien que l’entreprise allemande se diversifie dans les services numériques (y compris la sécurité mobile, sous la forme des cartes eSim utilisées dans les iPhone), la division qui inclut l’impression de billets de banque a augmenté de 7 % l’année dernière.
G+D est célèbre pour ses innovations permanentes au niveau des billets de banque. Lorsque l’Arménie a récemment cherché à remplacer ses coupures de 1 000 à 100 000 drams après 20 ans, l’imprimeur allemand a utilisé un nouveau substrat de polyester et de papier afin que la monnaie soit plus de deux à trois fois plus durable que son ancienne version. Par ailleurs, en plus des filigranes et des bandes magnétiques standard que l’on retrouve sur la plupart des billets, G+D a proposé des éléments de sécurité dits secrets, notamment un code imprimé sur le papier avec un laser qui ne peut être lu qu’avec des capteurs sous lumière infrarouge, et des fluorescents ultraviolets imprimés directement dans le dessin visible.
Fin 2018, seuls non loin de 11 % des billets de banque de la planète étaient imprimés sur des presses privées. G+D est d’ailleurs le deuxième imprimeur de billets privé au monde, avec 23 % de parts de marché, juste derrière le fabricant britannique De La Rue, qui en détient 27 %. Après une série de problèmes, dont des dettes impayées par le Venezuela, mais aussi la perte de son contrat pour l’impression du passeport britannique (au profit d’un groupe franco-néerlandais) ou encore un remaniement de la direction, De La Rue a récemment suspendu son dividende et a annoncé avoir du mal à poursuivre ses activités.
L’entreprise G+D a été fondée à Leipzig en 1852 par deux jeunes artisans entreprenants, Hermann Giesecke (21 ans) et Alphonse Devrient (31 ans). Cette année-là, les imprimeurs remportent leur premier contrat important avec la Banque de Weimar pour la production du billet de 10 thalers (le mot dollar est d’ailleurs dérivé du thaler). Sur l’une des faces du billet, on retrouve la déesse de la fortune du grand-duché de Saxe-Weimar-Eisenach, nichée entre des chiffres 10 et entourée de tous côtés par des filigranes. De chaque côté de la déesse se trouvent des gravures guillochées de spirales fractales taillées au tour et impossibles à reproduire à la main. Le duo se fait dès lors connaître pour la complexité de ses motifs.
Au fil des ans, G+D joue un rôle dans les coulisses de l’histoire monétaire. Après la Première Guerre mondiale, la société fait partie des premiers imprimeurs du Deutsche Mark en hyperinflation sous la république de Weimar. En 1936, elle imprime des billets pour les Jeux olympiques de Berlin au compte de l’Allemagne d’Hitler. Plus tard, elle imprime des billets de banque pour le régime de Franco en Espagne. Après la guerre, les Soviétiques exproprient la plupart des activités de G+D qui n’avaient pas été détruites, mais le gendre du président de l’époque, revenu d’un camp de prisonniers de guerre russe, reforme l’entreprise en 1948 à Munich. En dix ans, l’entreprise imprime désormais la moitié des billets de banque de la Bundesbank et se développe à l’étranger. G+D devient par ailleurs l’imprimeur du gouvernement corrompu de Mugabe au Zimbabwe depuis les années 1960. En juillet 2008, l’entreprise est contrainte par le gouvernement allemand à cesser d’expédier des billets à la banque centrale du Zimbabwe, qui a vu son inflation dépasser un million de pour cent par an.
Aujourd’hui, G+D compte plus de 80 filiales sur les cinq continents, avec des imprimeries de pointe en Allemagne et en Malaisie. L’entreprise conçoit des billets de banque spécialisés, sûrs et à l’épreuve de la fraude, et elle contribue même à leur destruction. Si certaines banques centrales possèdent leurs propres presses, G+D accepte aussi des commandes spéciales pour des coupures très demandées, les imprime sur mesure avec une large gamme d’éléments de sécurité et les expédie sur demande. Tandis que les commandes de devises réelles peuvent être sporadiques, les dispositifs de sécurité de G+D concernant la lecture de l’argent pour le compte de gouvernements, y compris les États-Unis et les casinos, fournissent des revenus récurrents. Reste à espérer que si le groupe allemand peut aider les petites banques centrales à développer leurs propres monnaies numériques basées sur la technologie des registres distribués, ainsi que des services de garde de titres par l’intermédiaire de Metaco, il pourra créer un modèle de revenus récurrents adapté à la numérisation du marché.
En juillet 2017, alors que le Bitcoin était sur le point d’atteindre les 20 000 $ et que le boom de la cryptomonnaie approchait d’un pic, G+D a fait connaître son intérêt pour la monnaie numérique en publiant un livre blanc intitulé « Digital Money ». Ce rapport de 35 pages encourageait ses clients de la banque centrale à adopter des alternatives électroniques à sa propre activité dans le domaine des billets de banque : « Une monnaie numérique serait attrayante pour les banques centrales, car elle leur permettrait de soutenir les citoyens dans le passage à la numérisation ». Le groupe allemand a ainsi anticipé que de nombreuses banques centrales se sentiraient dépassées par l’essor rapide des monnaies numériques alternatives, notamment Libra de Facebook, et qu’elles voudraient garder le contrôle de leur masse monétaire bien qu’elles n’aient pas le savoir-faire technique ou les ressources nécessaires pour être compétitives dans ce secteur.
Et puis, l’an dernier, G+D a révélé son premier logiciel visant à fusionner les deux mondes : Filia. Dans l’édition d’automne du bulletin de l’Official Monetary and Financial Institutions Forum, Christian Jüttner, responsable mondial de la technologie monétaire de G+D, a présenté le logiciel comme un « complément aux espèces », qui pourrait être frappé par les banques centrales et distribué par les banques commerciales ou d’autres institutions financières, afin de les utiliser sur smartphones, smartwatchs et autres portefeuilles numériques. Bien que G+D reste encore vague sur les détails de son nouveau logiciel, ses « monnaies » seront probablement créées avec un algorithme, mais seront contrôlées par chaque banque centrale, qui conservera le fichier de données. Ce nouveau type de monnaie ne nécessiterait pas de compte à utiliser et serait open source, de sorte que les prestataires de services de paiement puissent y intégrer directement leurs offres.
Dans ses documents de présentation, G+D a laissé ouverte la possibilité que cette nouvelle forme de monnaie digitale de banque centrale puisse éliminer entièrement le besoin d’intermédiaires des banques commerciales, puisque la monnaie pourrait être émise directement plutôt que via une institution de dépôt. Les citoyens et les autres parties intéressées pourraient ainsi détenir un compte directement auprès de la banque centrale de leur pays. Les monnaies numériques émises directement contribueraient grandement aux non-bancarisés, car il suffirait d’un smartphone pour y accéder. Ainsi, disperser l’aide à la relance pendant une crise pourrait par exemple être aussi facile que d’envoyer un mail.
Ralf Wintergerst poursuit : « Il est très difficile de transférer de l’argent aux gens lorsqu’ils n’ont pas de compte bancaire, alors qu’ils ont peut-être un téléphone. L’offre de la banque centrale ne fournirait pas seulement de l’argent physique, mais aussi de l’argent numérique ». Il note que le nom du nouveau logiciel de monnaie numérique de G+D, Filia, vient du latin : « C’est la nouvelle fille ou filiale de la banque centrale ».
Si Amazon Pay, Google Pay, Alipay et Facebook ont tous reconnu l’opportunité de créer un réseau de paiement sans frontières, les clients ont pour l’instant tous besoin de comptes bancaires pour y accéder. En tant qu’entités à but lucratif, ces modèles d’affaires pourraient par ailleurs être en contradiction avec la valeur réelle de la création de monnaie.
Wolfram Seidemann, responsable de la technologie monétaire de G+D, a récemment déclaré dans un récent article : « La monnaie numérique de la banque centrale est un bien public. Elle est universellement acceptée, libre de toute barrière sociale et économique, et peut être utilisée indépendamment de l’émetteur, ce qui en fait un instrument véritablement démocratique et libre. Pour être largement acceptée, la monnaie digitale de banque centrale doit être véritablement anonyme pour l’utilisateur honnête ».
Mais Relf Wintergerst explique que la monnaie programmable émise par une banque centrale comporterait certaines caractéristiques intégrées que ses billets ou même les paiements via Zelle ne pourraient jamais offrir : « On pourrait dire que jusqu’à 1 000 $, par exemple, ce n’est pas traçable, c’est anonyme. Mais au-delà de 1 000 $, vous devez renseigner votre nom ». Le revers de la médaille, c’est que la monnaie digitale de banque centrale pourrait être codée, de manière à suivre chaque transaction, ce qui supprimerait toute notion de vie privée.
Un autre facteur qui aura un impact sur la production de monnaies digitales de banque centrale est le coût. Le Bitcoin est nettement cher du seul point de vue énergétique, coûtant entre 5 000 et 8 500 $ à l’unité, selon une estimation récente. En revanche, la conception, la production et l’expédition de 1 000 billets de banque coûtent entre 30 et 250 $, en fonction des éléments de sécurité, qui dépendent eux-mêmes de la valeur du billet. La Réserve fédérale américaine, qui imprime ses propres billets, affirme qu’elle paie environ 0,077 $ par dollar, et jusqu’à 0,196 $ pour un billet de 100 $. Combien coûtera donc la création de monnaies digitales de banque centrale ? Le PDG de G+D ne le sait pas, mais il est certain que ce sera moins cher que le Bitcoin : « Donnez-moi un an ou deux, et je vous le dirai ».
En développant Filia avec une équipe de programmeurs et d’économistes internes, G+D a découvert la société suisse Metaco, qui propose un système d’exploitation permettant aux institutions financières de conserver des cryptomonnaies, des jetons et des stablecoins. Le logiciel de Metaco, appelé Silo, est une interface utilisateur entre les opérateurs humains des banques commerciales et les blockchains, ou autres registres distribués, qui alimentent les cryptomonnaies dont il est le dépositaire. À ce jour, 75 % des activités de Metaco proviennent des banques, principalement en Europe.
L’imprimeur allemand s’est donc jeté sur Metaco au mois de juillet dernier. Le tour d’investissement à 17 millions de dollars représente le double de ce que la start-up suisse cherchait initialement à lever. Ralf Wintergerst explique : « Nous pouvons leur donner accès aux banques centrales. Parce que quand les banques centrales se tourneront davantage vers les formes de monnaie numériques, elles auront besoin d’un environnement de conservation ».
Article traduit de Yalayolo Magazine US – Auteur : Michael del Castillo
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