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Il y a un siècle, il y eu les « années folles ». Pour d’autres raisons, nos années 20 le sont aussi un peu. Elles ont commencé le 17 mars, le jour où des millions de personnes ont été renvoyées à la maison tandis que d’autres partaient « à la guerre » contre la Covid-19. Un jour, nous raconterons nos 17 mars (et les bien trop longues semaines qui ont suivi) comme nous faisons défiler dans nos mémoires les jours marquants des 11 septembre ou 13 novembre. En attendant, nous sommes encore bien trop dans l’œil du cyclone pour pouvoir vraiment penser la crise 2020 et lui donner un sens.
Pour les entreprises, c’est pareil. Le choc du confinement a été si brutal que nul ne saurait dire où il va conduire l’économie. Alors que l’été 2020 démarre sur des bases bien incertaines et pour que « le monde d’après » ne soit pas un nouvel élément de langage vide de sens, voici 10 convictions fondatrices de ce que seront des entreprises d’avenir.
Accepter (que tout ait déjà changé)
Historiquement, la crise accélère et amplifie les tendances. Tout ce que nous avons collectivement décidé ou individuellement expérimenté pendant ces jours de crise aurait mis des mois voire des années à se concrétiser si nous n’avions pas tous et toutes été acculés à agir vite. C’est vrai pour le télétravail, c’est vrai pour l’école à distance aussi bien que pour le commerce. Et même en imaginant que le coronavirus nous laisse définitivement tranquille, il n’y aura pas de retour en arrière. Lorsqu’enfin, par exemple, nous pourrons nous réunir à nouveau normalement dans des lieux de conférences, il restera quelque chose de la virtualisation des événements. L’heure sera à la conférence à deux têtes, hybridée, mi-présentielle, mi-distancielle. Dans tous les domaines, inutile de lutter contre la vague, trop fatigant et inutile. Une entreprise d’avenir, c’est une entreprise en phase avec son époque.
S’adapter (rapidement)
S’il est une chose que la crise nous a déjà appris, c’est l’impératif de prendre en compte un faisceau d’impératifs de plus en plus large : les contraintes sanitaires et réglementaires, les usages bousculés, les nouveaux interdits ou protocoles, les demandes des clients et par-dessus tout, les paradoxes de nos sociétés. La fameuse ‘agilité’ déjà largement préconisée « avant » est désormais un préalable. Sous le choc du confinement et de la crise, les entreprises vont en avoir besoin pour intégrer l’incertitude et envisager des scénarii alternatifs. Très vite après le 17 mars, l’expression « entreprise résiliente » a recommencé à faire florès, signe que pour intégrer le traumatisme sans être abattu, il faut pouvoir faire preuve de souplesse, pivoter d’un type d’activités à un autre, se ré-organiser et être flexible dans l’état d’esprit, les méthodes, le service rendu, le modèle économique. Une entreprise d’avenir est une entreprise qui, sous le choc, trouve des ressorts pour s’adapter.
Penser (différemment)
Quand tout a changé sous nos yeux, en direct et en accéléré, il est devenu clair que le moment était enfin propice aux nouvelles idées. Pour innover, il faudra de plus en plus accepter d’être bousculé dans sa réflexion et se mettre à l’écoute de personnes qui pensent autrement. Et donc ? Eh bien il y a deux options. La première : sauver sa boîte puis réfléchir (à condition que l’entreprise existe toujours quand on se décidera à le faire) ; la seconde : penser en même temps la continuité de l’entreprise et l’étape d’après, en s’ouvrant à de nouveaux regards, en sortant de l’entre-soi ou du prisme uniquement “business”. Se nourrir intellectuellement des réflexions des sciences humaines et sociales, se confronter à la différence, intégrer les fortes demandes sociétales de justice et de diversité, en un mot ouvrir son esprit.
Assumer (ses convictions)
Les urgences sont multiples (économiques, sociétales, technologiques, climatiques) et la crise leur donne une acuité plus visible. L’heure n’est plus aux atermoiements, tout le monde a le devoir de se positionner face aux grands enjeux de nos sociétés et de la planète. Les entreprises aussi. En ce sens, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) doit passer au niveau supérieur. Le RSE-washing, l’arrogance des marques ou les fausses promesses marketing ne vont pas longtemps résister à la pression des consommateurs et des citoyens désireux de basculer vers des achats ou des comportements plus responsables. Les entreprises sont face au défi historique de se saisir des enjeux de notre temps. À elles d’en avoir conscience, d’en avoir le courage et d’être à la hauteur.
Innover (pour un impact positif)
Penser l’après 17 mars oblige à la ré-invention. Pour être au niveau des enjeux, les entreprises doivent privilégier des activités à impact positif. Dans la création de nouveaux produits ou de nouveaux services plus durables et responsables, il va y avoir besoin de milliers d’entrepreneur•es locaux et indépendant•es, d’agriculteurs et d’agricultrices, de PME qui soit n’existent pas encore, soit vont pouvoir pivoter. Dans un monde qui change, brutalement, rapidement, où les certitudes vacillent, où les usages sont bousculés par de nouvelles échelles de valeur, où la crise sanitaire engendre une crise économique et où l’urgence climatique est criante, l’innovation ne peut pas avoir pour seul but la création de valeur financière. Pour pouvoir mieux et durablement se développer, l’entreprise doit avoir un impact positif sur tout son écosystème : clients, collaborateurs, citoyens, environnement, territoires.
Accélérer (sa digitalisation)
En quelques semaines, la digitalisation de la société et des entreprises s’est considérablement accélérée mettant en exergue l’impératif de s’appuyer sur les outils technologiques en phase avec les objectifs de l’entreprise et surtout avec son marché. Les secteurs jusqu’à présent les plus résistants à la transformation numérique, l’éducation ou la santé par exemple, ont basculé en quelques jours dans de nouveaux usages dont il n’y a aucune raison de penser qu’ils ne vont pas continuer à être plébiscités. Inutile d’être pour ou contre l’intelligence artificielle, pour ou contre l’usage des données, ou vent debout face aux clouds des géants du numérique. Les citoyens et consommateurs font le choix de services numériques, aux entreprises et aux États d’encadrer les pratiques et d’en faire un usage le plus juste et le plus acceptable possible. Aux dirigeant•s d’entreprise enfin de développer leur culture du numérique.
Agir (collectif et inclusif)
Trois mois de confinement ou quasi-confinement, de télétravail subi et massif, d’école à la maison et de générations séparées ont produit un climat anxiogène et mis à mal le lien physique et social. Ces 3 derniers mois ont aussi révélé l’importance de la solidarité, du collectif et du bien commun. Les entreprises ne sont naturellement pas les seules dépositaires de cette problématique mais elles ont, elles aussi, à l’intégrer. Les entreprises ont leur part à prendre pour rendre globalement la société plus juste, plus inclusive et plus diverse. Les fortes demandes sociétales à l’œuvre actuellement ne peuvent pas (plus) s’arrêter à la porte des entreprises. À l’avenir, celles-ci seront jugées non plus seulement sur la qualité de leurs produits et de leurs services mais aussi sur leur raison d’être et sur ce qu’elles font réellement pour être alignées avec leurs valeurs.
Acter (l’égalité entre les femmes et les hommes)
Le confinement a encore accentué les inégalités entre les femmes et les hommes. Comme le note le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), les femmes se sont certes « révélées providentielles » pendant la crise sanitaire mais aussi « invisibles, sous-payées, surchargées ». Le projet de loi porté par Marlène Schiappa pour « l’émancipation économique des femmes », est toujours prévu pour 2020 et le HCE plaide pour qu’y soit intégré un principe qui pourrait changer beaucoup de choses pour les entreprises : l’égaconditionnalité. De la même façon que les aides aux entreprises pourraient être conditionnées à la prise en compte d’objectifs environnementaux, elles pourraient aussi dépendre de critères d’égalité et de mixité entre les femmes et les hommes. L’émancipation économique des femmes apparaît plus que jamais comme un levier de rebond et de résilience, dont les entreprises doivent se saisir.
Manager (plus collaboratif)
A l’heure où il faut inventer un avenir commun dans un contexte aussi incertain, l’énergie, l’engagement et la créativité de tous les collaborateurs sont essentiels. L’intelligence collective massive, déployée à l’échelle d’une entreprise dans son entier, devient un mode opératoire impératif. Une entreprise d’avenir est une entreprise qui mise sur l’innovation collaborative et qui s’appuie sur un management plus empathique, plus créatif et plus souple. Il y a fort à parier que le télétravail s’installera dans la durée comme un mode de travail non pas unique mais hybride. Savoir manager à distance, engager des équipes qui n’ont pas le même rythme, créer une dynamique collective harmonieuse sera essentiel pour la performance durable et la raison d’être des entreprises.
Soigner (son mental)
Dans un contexte dominé par un niveau d’incertitudes inédit, les dirigeant•es d’entreprise n’auront jamais porté sur leurs épaules des responsabilités aussi lourdes. Leur charge mentale atteint un niveau critique. Ils doivent à la fois garantir la santé de leurs équipes, piloter des protocoles de sécurité, préserver la trésorerie, anticiper les futures demandes des consommateurs et adapter la stratégie de l’entreprise. À bien des égards, comme Atlas le titan de la mythologie grecque, les chef•fes d’entreprise ressentent le poids du monde sur leurs épaules. Et puisque leur mission est à haut risque de burn-out, il leur faut renforcer leur formation, leur résilience personnelle, leur leadership et surtout soigner leur mental comme leur bien le plus précieux.
Dans son appel lancé début mai 2020, Nicolas Hulot parlait de la crise que nous traversons comme de « la crise de l’excès ». Pour la résoudre, soyons excessivement audacieux, courageux, assez fous et folles pour nous écouter les une•es les autres et réaliser nos utopies. Et comme on ne va pas changer le monde avec un moral de looser, soyons aussi excessivement déterminé•es. Pour reprendre la phrase de Steven Pinker, le professeur de psychologie à Harvard considéré comme le penseur de l’optimisme, “même si le progrès est avéré, il n’arrive pas naturellement ou par magie, c’est au genre humain d’en être l’acteur.”
Emmanuelle Durand-Rodriguez, journaliste et Vanessa Vierling, cofondatrice et présidente de Spring Lab, agence d’innovation.
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