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Jardins suspendus, potagers sur les toits ou encore fermes urbaines fleurissent depuis quelques temps dans les métropoles, comme une compensation à l’artificialisation des terres que connaissent nos villes depuis plusieurs décennies. Initié par des urbains en quête de nature, le mouvement s’est professionnalisé et de nombreuses startups (Sous les fraises, UrbAgri, Cycloponics, Topager) se sont emparées du concept.
À l’image de Montréal et ses fermes Lufa, les projets français commencent à prendre de l’envergure comme en témoigne la Cité maraîchère de Romainville, dont les 1000m2 de surface cultivable promettent de nourrir 200 personnes par an grâce à 12 tonnes de fruits et légumes produits chaque année. Mais le projet le plus ambitieux est sans nul doute celui du parc des Expositions, dont le toit se transformera d’ici la fin de l’année en une ferme urbaine de 14 000m2, la plus grande d’Europe. Elle devrait fournir jusqu’à “1 tonne de fruits et légumes par jour en haute saison” estime Pascal Hardy, fondateur d’Agripolis, entreprise en charge du projet, dans un article au Monde.
L’ultra-local : une vocation nourricière à faible impact
Mais l’agriculture urbaine pourrait-elle être vraiment suffisante pour nous nourrir ? Pour Roland Vidal, Ingénieur de recherche à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, “la question ne doit même pas se poser” car l’Homme ne se nourrit pas uniquement de ”fruits et de légumes mais aussi, et surtout, de céréales et de légumineuses”. Pour répondre aux besoins d’un seul individu, il faudrait “3000m2 de terre agricole” en moyenne, poursuit le chercheur. Les 73 hectares d’agriculture urbaine que compte l’Ile-de-France semblent clairement insuffisants pour nourrir les 12 millions d’habitants qui y vivent.
En réalité, l’agriculture urbaine n’aurait de sens nourricier que dans les pays comme “Singapour qui manque de terre, l’Arabie Saoudite en situation de stress hydrique ou dans les bidonvilles d’Afrique” où elle intervient comme palliatif à la famine. Sans compter qu’en France, ces cultures ne sont pas (toujours) distribuées aux habitants mais parfois vendues à des restaurants ou des cantines. La question de leur prix doit également à être abordé. Si leur production à proximité réduit les coûts de transport et limitent par la même occasion la pollution liée à l’acheminement, le tarif élevé du foncier des grandes agglomérations pourrait faire flamber les prix, limitant ainsi l’accessibilité de ces aliments au plus grand nombre. Les fraises d’Agricool, startup ayant développé et breveté un mode de culture en container, étaient vendues autour de 4 euros la barquette de 250g en 2018, un prix proche de leurs homologues biologiques.
Sans compter que si 79% des Français se disent attachés au caractère local des produits qu’ils achètent selon l’observatoire des nouvelles consommations, “ils restent très fidèles à la notion de terroir” souligne Roland Vidal. Abricots du Roussillon, tomates de Marmande, citron de Menton restent des symboles de qualité. Cet estampillage made in Lyon, Bordeaux ou Paris risque alors de devenir un simple argument marketing à moins que l’on ne donne un second sens à cette agriculture urbaine.
Un éveil des consciences à essaimer
Mais si l’agriculture urbaine n’a pas vocation à nourrir, à elle seule, la population, les projets qui y sont liés constituent surtout une opportunité de reconnecter des humains à la nature enfouie sous le bitume depuis (trop) longtemps et de “prendre conscience du travail qu’il y a derrière” poursuit Yohan Hubert, fondateur de Sous les fraises. L’industrialisation de nos productions et la concurrence des marchés ont engendré une baisse des prix qui ne “reflètent pas le prix réel des aliments” estime Yohan Hubert qui veut “éveiller la conscience des consommateurs”.
En organisant des ateliers de jardinage, certains projets d’agriculture urbaine espèrent notamment sensibiliser les participants à la complexité du métier, sa difficulté et les contraintes liées à la suppression des pesticides, par exemple. Un grand nombre d’agriculteurs urbains ont, en effet, choisi des modes de culture responsables allant même “jusqu’à réutiliser les déchets organiques pour faire du substrat, en économie circulaire” souligne Virginie Dulucq, fondatrice d’UrbAgri. Cette dernière voit également dans ces ateliers l’opportunité de souligner le “caractère saisonnier des cultures”. Une intention qui trouve ses limites dans la culture de fraises en plein hiver.
Le nouveau projet de cité maraîchère de Romainville prévoit des ateliers pour les enfants, des parcelles réservées aux habitants du quartier pour qu’ils cultivent leur propre potager ainsi qu’un belvédère permettant aux visiteurs d’observer les plantations. V’île fertile, une ferme urbaine participative installée à Vincennes, propose également ce genre de prestations. Lieux hybrides de démonstration, de culture et de pédagogie, ces installations se pensent avant tout comme des espaces de rencontres et de partage.
Faire germer des liens sociaux
Si le terme d’agriculture renvoie immédiatement à la nourriture dans l’imaginaire collectif, son entrée dans les villes intervient davantage dans une dimension sociale. Pour Virginie Dulucq, l’agriculture urbaine est née pour redonner une seconde fonction à des “friches industrielles inutilisées”. La nature est arrivée comme une évidence pour remplir ces espaces vides. Dans certaines zones, il s’agissait également d’éviter leur transformation “en squats, en décharges urbaines ou en lieux de trafics” explique Virginie Dulucq. Où qu’ils poussent, ces projets ont tous un point commun : permettre aux habitants d’un quartier de “se retrouver autour d’un projet et créer un lien social très fort”. Mais c’est surtout “la fierté que ressentent les gens en réussissant à faire pousser quelque chose alors qu’ils n’y connaissaient rien” qui vaut le plus pour la fondatrice d’UrbAgri.
Des bailleurs comme GrandLyon Habitat dans le 8ème arrondissement de Lyon installent ainsi des jardins et des potagers sur le toit de leurs immeubles ou en rez de jardin. Certains supermarchés tentent aussi l’expérience, comme sur le parking d’Auchan Caluire où Sous les fraises a installé un jardin suspendu. Au-delà d’ateliers de jardinage de quelques heures, l’établissement propose désormais des activités sportives et un service de restauration l’été pour permettre à ses clients de passer un bon moment et d’en profiter pour faire quelques achats.
Pour que cela fonctionne, “il faut s’adapter aux besoins de chacun, tout le monde ne peut pas passer trois heures par jours à cultiver son bout de jardin” reconnaît Virginie Dulucq qui souligne alors le potentiel d’embauche qui se cache derrière ce secteur.
Le maraîchage urbain, une moisson aux maigres recettes
Une tendance qui pousse beaucoup d’entreprises à se lancer dans l’agriculture urbaine. Pourtant, peu d’élus réussissent pleinement à en vivre. “C’est ultra compliqué, encore aujourd’hui” reconnaît Yohan Hubert et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, les propriétaires fonciers qui ne souhaitent pas toujours laisser les toits à l’agriculture, le prix du foncier en ville mais aussi les travaux à réaliser pour pouvoir justement intégrer ces espaces. Il faut parfois construire un escalier, refaire une partie du toit… des travaux qui ont un coût. Pour Stéphane Lévêque, membre de la maison de l’agriculture urbaine, “une des meilleures chances de réussir est de bénéficier d’une location gratuite de la part de la collectivité ou d’un bailleur”.
Devant toutes ces difficultés, “80% des entreprises du secteur échouent” estime Grégoire Bleu, membre de l’association française d’agriculture urbaine professionnelle dans un article publié au Monde en 2018. Mais certaines poussent réussissent à germer comme Agricool qui a bouclé une levée de 25 millions d’euros fin 2018, prévoit de recruter 200 personnes d’ici 2021 et inaugurait son premier container à La Courneuve la semaine dernière.
À côté de ça, “l’implication du gouvernement facilite cette entreprise” tempère Virginie Dulucq en pensant, notamment, au programme des Parisculteurs lancé par la ville de Paris qui finance des projets d’agriculture urbaine. Depuis 2017, cette dernière s’est dotée d’un plan d’action visant à végétaliser 100 hectares de la ville d’ici 2020 dont 30 hectares via l’agriculture urbaine.
Plus récemment, en avril 2019, c’est le Conseil économique, social et environnemental qui a fait la promotion de ce type de projets. Dans son avis, il souligne les bénéfices sociaux et environnementaux du projet. Il faut dire que sur ce dernier point, la France a du travail. Entre 2006 et 2015, les métropoles ont subi une artificialisation de 65 800 hectares par an, soit l’équivalent d’environ 9000 terrains de foot, ce qui a engendré une grande perte de la biodiversité française. Au niveau européen, elle se caractérise par une disparition de 80% des insectes.
Si l’agriculture urbaine ne remplit clairement pas le même rôle que sa grande soeur des champs, elle s’aventure dans un autre domaine qui consiste tout de même en un besoin d’avenir : réussir à (ré)concilier les hommes avec la nature. Et à ce jeu, la tech n’a pas tous les pouvoirs.
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