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En fin de semaine dernière, Euveka lançait un véritable appel à l’aide sur la toile. La startup française, récompensée de nombreuses fois pour son buste robotique capable de prendre les mensurations exactes d’une personne en quelques clics (elle avait notamment décroché le prix de l’innovation dans la catégorie « robots et drones » au CES 2018 et était arrivée finaliste du prix David et Goliath en 2019), a besoin de 300 000 euros afin de pouvoir payer ses 33 salariés à la fin du mois.
Un cas isolé dans la Fashion Tech ? Pas vraiment. Dans le secteur de l’impression 3D, le fil peine également à se tisser avec l’univers de la mode. Malgré une levée de fonds auprès d’investisseurs et une subvention publique, la startup Electroom, incapable de trouver un équilibre budgétaire, a mis la clé sous la porte il y a trois ans.
Même les wearables – les vêtements connectés -, peinent à trouver leur cible. Lancée en 2016, l’entreprise Akiros, qui développait des vêtements connectés destinés à analyser la posture des patients au travail et à la corriger, a finalement mis la clé sous la porte en 2018. Grosse désillusion également pour Cityzen Sciences, l’ancienne pépite du textile connecté, placée en redressement judiciaire au début du mois de juillet 2017 après avoir connu plusieurs mois difficiles.
Chez les géants du secteur, même constat : la veste en jean connectée lancée par Levi’s et Google en 2017 et baptisée Jacquard, du nom du programme de Fashion Tech du géant du web, qui promettait alors de pouvoir gérer son téléphone d’un simple geste sur sa manche pour décrocher ou raccrocher, n’a finalement pas fait grand bruit en France. Sa deuxième version, sortie en octobre 2019, non plus.
Des contraintes techniques trop nombreuses
Portées par des acteurs du secteur et reconnues pour leur potentiel, ces technologies n’ont pourtant pas réussi à convaincre le marché de leur intérêt, du fait de leur complexité. “Les matériaux employés dans les fibres connectées au sens large (RFID, conductrices, génératrices) ont des propriétés physiques et chimiques bien différentes des matières textiles habituelles. Il est primordial de vérifier la compatibilité de la matière avec la suite du process industrie”” explique Chantal Fouqué, directrice de la Fabrique, l’Ecole des métiers de la mode et de la décoration. Très fragiles, ces vêtements ne peuvent pas toujours être lavés ou passés au sèche-linge et toute déformation peut réduire voire annuler son pouvoir conducteur. Posséder un tee-shirt connecté de ce type limite clairement son usage.
L’impression 3D connaît aussi ses propres limites. Si l‘imaginaire en fait un produit rapide capable de fabriquer instantanément un objet, il faut en réalité entre 40 et 500 heures pour produire une robe, assemblage non compris. Comparé à la main d’oeuvre humaine le processus est loin d’être rentable actuellement. Sans compter qu’avant d’en arriver à ce point, des mois entiers de recherches et collaboration avec des spécialistes sont nécessaires pour réussir à développer un fil “assez souple et assez solide pour être mettable et portable” détaille le site internet de la créatrice américaine Danit Peleg. Tout cela sans compter sur “ le manque d’adaptation à la taille des vêtements de ces outils”, souligne Alice Gras.
Trouver le bon partenaire technologique et réussir à mettre au point de nouveaux process demande du temps… et de l’argent. Et, second problème : “depuis 2008, le secteur de la mode française connaît une diminution des investissements” indique le rapport de FashionTechWeek réalisé en janvier dernier pour l’ambassade des Pays-bas. Un propos corroboré par Coline Rivière, directrice du programme d’incubation de Showroomprivé.com dans un article pour les Echos, qui admet “pousser les startups de la mode à se présenter avant tout comme des startups avec une solution innovante et de ne pas axer leur pitch sur leur secteur pour ne pas faire peur aux investisseurs ».
Luxe, prêt-à-porter et GAFAM : chacun veut sa part du gâteau
Pourtant, si la FashionTech n’est pas encore sur la voie de l’industrialisation, elle reste un objet de convoitise et d’étude pour tous les acteurs de la mode. A l’avant-garde de l’innovation, la Haute-couture et le luxe se doivent d’évoluer avec leur temps en explorant de nouvelles matières et d’autres modes de production. À la Maison des Startups de LVMH, la recherche d’inspiration et d’innovation est constante. Les startups incubées sont chargées d’aider les grandes marques à sortir de leur spectre. “ Même si l’innovation ne se limite pas au digital, elle prend aussi cette forme. Au dernier salon Vivatech, la marque Vuitton a présenté un sac doté d’écrans souples. C’est un premier pas vers des produits intelligents” reconnaît ainsi Laëtitia Roche Grenet, Directrice Open Innovation de l’établissement.
Les écoles et instituts de formation désirent importer ces technologies. L’ESMOD vient ainsi d’ouvrir sa première classe digitale où des étudiants de deuxième année triés sur le volet peuvent s’initier à des logiciels de création digitale et à l’impression 3D. “Les cours classiques de modélisme se poursuivront mais l’usage de logiciels de conception complètera la formation et leur maîtrise sera un atout dans leur vie professionnelle” souligne le directeur de l’établissement, Edwin Herrel.
L’IFA, International Fashion Academy parisienne, a ouvert fin 2019, Foundry, un espace de 4000m2 où entrepreneurs, étudiants et entreprises peuvent tester, découvrir et tenter d’inventer la Fashion Tech de demain. Le projet est notamment soutenu par IBM France.
Un fourmillement d’idées en électron libre
Si l’engouement pour les nouvelles technologies dans la mode n’a pas encore tout à fait trouver son marché, ni ses financements, cela n’empêche pas les créateurs, les startups et le prêt à porter de redoubler d’idées.
Côté français, la startup VFP Ink Technologies a développé des encres conductrices qui pourraient intéresser la filière textile. La startup HoloMake, utilise quant à elle, les datas des créateurs pour réaliser des guides de couture. La solution permet même de superposer les pièces virtuelles et réelles pour effectuer les points de contrôle et éviter les erreurs. La startup, incubée par la Maison des Startups, intéresse les marques de luxe. On peut également citer Gemmyo qui utilise la 3D en joaillerie.
À l’international, Adidas a lancé une basket dont la semelle est imprimée en 3D grâce à un partenariat avec Carbon. La créatrice Maria Alejandra Mora-Sanchez a dévoilé Loom, une robe fabriquée grâce à l’impression 3D qui épouse les mouvements du corps. Ce modèle fait suite à celui de 3D Kinematics Dress racheté par le MoMa, un musée d’art contemporain.
Dans le secteur des vêtements connectés dédiés au secteur de la santé, là aussi, les idées ne manquent pas. Siren commercialise ainsi des chaussettes connectées pour diabétiques tandis que Nadi développe des tee-shirts qui aident les yogi à corriger leurs postures. Enfin, on citera la pépite Percko, qui s’attaque au fléau du mal de dos.
Le marché auquel s’adressent ces jeunes pousses est énorme, et son potentiel bien loin d’être à son maximum. Pour réussir à rattraper son retard dans le secteur face aux États-Unis, à la Finlande, ou encore au Japon, la France devra évoluer en matière de réglementation et en terme d’investissement, afin de faire « dialoguer deux cultures qui ne se connaissent pas du tout”, comme l’explique Alice Gras, fondatrice de l’association FashionTechWeek. À trop attendre, le fleuron de la mode pourrait finir par perdre son côté précurseur ?
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