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Photographe, réalisateur, grand défenseur écologique, Yann Arthus-Bertrand entretient depuis toujours un lien charnel avec notre planète. Sa voix et ses combats transcendent les frontières et les hommes. Avec son exposition « Legacy – L’héritage que nous laissons à nos enfants », l’inoxydable militant nous interpelle de nouveau. Yann Arthus-Bertrand nous accueille au sein de sa fondation parisienne GoodPlanet en vue d’une discussion franche. Entretien en amont de sa vente aux enchères caritative du 24 novembre prochain, pour laquelle il mobilise ses célèbres amis.
La Terre vue du ciel, L’Algérie vue du ciel, New York vu d’en haut ou L’Archéologie vue du ciel : pourquoi cette propension à aborder des territoires et des thématiques verticalement, par l’élévation ?
Yann Arthus-Bertrand : C’est en exerçant le métier de pilote de montgolfière au Kenya durant ma prime jeunesse que j’ai découvert la richesse d’une vue aérienne. Par l’élévation, vous avez accès à une véritable cartographie de l’environnement et de ses hommes. Ainsi, vous comprenez les modes de vie des gens, la manière dont ils se déplacent, l’indice de développement du pays… Survoler un territoire vous renseigne également sur la religion pratiquée, sur la politique agricole menée, et tant d’autres choses encore. La dimension esthétique entre aussi en compte car les images saisies sont remarquables. C’est littéralement passionnant !
Vous avez investi cet été le toit de la Grande arche de La défense pour y exposer votre première rétrospective : le public peut y contempler, jusqu’au 1er décembre, de spectaculaires clichés aériens et des portraits plus intimistes. Parlez-nous de cette exposition baptisée Legacy – L’héritage que nous laissons à nos enfants ?
Y.a.B. : Tout au long de ma carrière, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires à travers le monde ! L’exposition Legacy retrace mon parcours de jeune scientifique qui préparait un doctorat sur le comportement des lions au Kenya, et qui, au gré des rencontres, des opportunités de la vie, a pris d’autres directions. Je suis devenu viscéralement attaché à la nature et à son écosystème, que j’ai patiemment observé, étudié et photographié afin de rendre compte de la dégradation de la biodiversité. Hier 400 000, à présent 20 000, les lions sont l’une des plus grandes victimes de la désagrégation de notre environnement. Bien que l’humanité a enregistré de grands progrès en matière de qualité de vie : nous vivons mieux et plus longtemps, il y a un meilleur accès à l’éducation au même titre qu’il y a davantage de démocratie, il n’empêche que ce développement s’est fait sur « le dos de la nature », sans la moindre vision à long terme. Lorsque je suis né, nous étions 2 milliards d’êtres humains, un chiffre qui a plus que triplé aujourd’hui pour atteindre 7 milliards !
Conséquemment, la consommation de viande et de poisson a été multipliée par huit, et il n’y a plus du tout d’harmonie entre l’homme et la nature en raison de notre modèle de civilisation qui se base sur la religion de la croissance. Legacy – L’héritage que nous laissons à nos enfants est une œuvre pédagogique avec pour ambition de donner des chiffres, des faits sur l’état actuel de la biodiversité. N’oublions pas qu’une image vaut tous les discours… notamment auprès des plus jeunes. Aussi, lorsque je me rends dans les écoles, je réalise combien la nouvelle génération d’écoliers et d’adolescents a conscience du monde que nous leur léguons. Il y a une réelle colère mondiale de la jeunesse que nous ne devrions pas négliger. Regardez ce qu’accomplit sous nos yeux la jeune activiste écologique suédoise, Greta Thunberg : nous partageons une responsabilité commune.
L’écologie est pourtant à l’agenda des plus éminentes instances mondiales, la question n’est pas éludée…
Y.A.B. : L’homme politique n’a finalement aucun pouvoir aujourd’hui : il s’est trop longtemps complu dans les postures et les discours vides de substance. Sachez que si nous cessions dorénavant d’avoir recours aux énergies fossiles, la Terre continuerait quand même à se réchauffer pendant cinquante ans ! Nous déforestons chaque année l’équivalent de la Belgique en s’attaquant aux forêts primaires…
Nous n’avons pas le courage de la vérité : on ne veut pas croire ce que l’on sait très bien. J’ajoute que je ne suis pas « hors sol », car je sais très bien que nous sommes dans un équilibre compliqué, puisque c’est la croissance qui nous permet de payer les écoles, les infrastructures et de développer un pays. Dans cette logique, être « un bon citoyen » : c’est être un « bon consommateur ». Ainsi est conçu notre modèle de société plein de paradoxes. Cependant, croissance et écologie ne sont pas compatibles.
Il faut tendre vers la décroissance : vivre bien, avec moins. J’ai tout à fait conscience que ce mot effraie car il est amalgamé à l’idée d’un retour à l’âge des cavernes et des bougies qu’on allume pour s’éclairer. Pourtant, il s’avère tout à fait possible de repenser notre rapport à la surconsommation.
Je n’ai pas la solution miracle, mais ce que je sais, c’est que nous nous dirigeons vers un monde de plus en plus difficile. Chacun d’entre nous doit regarder ce qui l’environne avec beaucoup d’amour : la biodiversité d’aujourd’hui ne sera plus celle de demain. Soyons par ailleurs davantage solidaires, respectueux les uns envers les autres. Pourquoi étions-nous 50 000 lors de la Marche du climat quand nous réunissions l’été dernier 1,5 million de personnes pour célébrer la Coupe du monde de football ? Il n’y a pas de lobby qui nous oblige à agir de telle ou telle manière : notre choix est individuel.
C’est vous, votre voisin ou votre collègue, qui prenez la décision d’aller travailler en voiture. À Copenhague, par exemple, 70 % des travailleurs font le choix du vélo. Dans ce même pays, l’indice du bonheur s’affiche comme l’un des plus élevés au monde… De fait, nous sommes tous co-responsables de la situation et il faut malheureusement accepter ce qui est en train d’arriver.
Vous reconnaissez donc qu’il est compliqué de sortir d’un système qui finance nos écoles, nos hôpitaux ou nos routes. Mais alors, où placer le « curseur » ? La croissance verte est-elle une alternative viable ?
Y.A.B. : Si quelqu’un avait la solution, cela se saurait depuis longtemps ! Force est de constater que le système est installé et rodé, si bien que je ne crois pas du tout en la croissance verte. Nous nous dirigeons indubitablement vers un monde où les événements s’imposeront à nous, l’Homo sapiens devra donc apprendre à vivre différemment. Pour autant, cette fatalité ne doit pas occulter d’autres problématiques, comme celle de l’aggravation des inégalités entre riches et pauvres. Nous le voyons en France avec la mobilisation des Gilets jaunes : il y a trop de rancœurs et de haine. Cela m’attriste énormément. En réponse à cette situation, j’ai décidé de préparer un film qui me mènera partout dans l’Hexagone. J’irai à la rencontre de mes compatriotes afin de m’immerger dans leur quotidien. J’ai envie de rendre hommage à ce pays formidable en proie à beaucoup de remises en question et de doutes. France, une histoire d’amour est le titre que je réserve à ce tour de France.
Depuis peu, vous avez rejoint le Conseil d’administration de LVMH comme censeur, avec l’espoir d’y « amener une petite infusion d’écologie ». Cette décision a suscité quelques critiques : qu’avez-vous envie de répondre à vos détracteurs ?
Y.A.B. : Tout au long de ma carrière, j’ai subi des attaques sur mon travail, sur mon engagement. Il y a longtemps que j’ai compris que je ne ferai jamais l’unanimité mais là n’est pas mon but. Mon dessein est de continuer à contribuer, à mon échelle, à une prise de conscience écologique. Mon côté « grande gueule » peut parfois agacer… Pour être tout à fait transparent, j’ai demandé à rencontrer Bernard Arnault avant d’accepter cette proposition honorable. Il m’a paru important d’aborder sans tabou toutes sortes de sujets.
C’était un préalable. À la suite de mon entrevue, je dois dire que j’ai découvert un homme très à l’écoute, éminemment brillant et même très chaleureux ! Ce capitaine d’industrie se souciait davantage de la pérennité de son entreprise et de ses hommes et femmes plutôt que du cours de la bourse. Je suis pragmatique : nous n’avancerons jamais si on exclut de la table les plus grandes entreprises. Comme toujours, j’ai pris le temps de la réflexion avant de m’engager.
LVMH ne fait certainement pas partie des entreprises les plus polluantes, et pour cause, les produits confectionnés et commercialisés répondent à des standards d’excellence, ils sont très sophistiqués. En outre, le groupe participe au rayonnement de l’artisanat français au même titre qu’il emploie des dizaines de milliers de personnes à travers le monde. De fait, une alliance avec un grand industriel fait davantage sens qu’un rapprochement avec un politique. Au sein du conseil d’administration de LVMH, ma liberté de parole est encouragée, respectée. Alors oui, cela m’intéresse de voir comment fonctionne une entreprise de cette envergure, de comprendre comment elle anticipe les évolutions pour répondre aux enjeux sociétaux, environnementaux et économiques. Assez de discours, soyons dans l’action !
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