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« Une enquête réalisée au cœur des entreprises révèle l’inefficacité des lois en vigueur mais aussi le caractère plus culturel que juridique de la prévention en matière de harcèlement sexuel ».
C’est sans surprise que le monde économique se trouve aujourd’hui englué dans l’agitation qu’a suscitée le mouvement #MeToo à l’échelle mondiale. Né en 2017, ce mouvement a permis d’étaler sur la place publique internationale les affaires de harcèlement au travail, dans une proportion sans précédent.
Les statistiques sont accablantes et montrent à quel point les femmes sont victimes de ce délit, quels qu’en soient la situation géographique et le secteur d’activité. D’après l’Agence européenne pour les droits fondamentaux, « on estime qu’au sein de l’Union Européenne, sur 83 à 102 millions de femmes (soit une proportion de 45 % à 55 %), 28 millions d’entre elles ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dès l’âge de 15 ans ». Aux États-Unis, ce chiffre atteint les 33,6 millions.
Par ailleurs, l’analyse introspective de la vie économique montre l’inefficacité des lois en vigueur et que la prévention du harcèlement sexuel est davantage une affaire culturelle que juridique. Il n’est donc pas surprenant que HR Dive, l’un des principaux blogs dédiés aux ressources humaines, ait intégré à ses « tendances RH 2018 » la nécessité de lutter contre le harcèlement sexuel au travail .
Remédier à cette violation fondamentale des droits de l’Homme revient à répondre à 3 questions : quand et comment donner suite à une plainte ? Comment évaluer les faits ? Comment s’assurer de l’efficacité des mesures prises par l’entreprise en réaction à un événement de cette nature ?
Réduire les coûts visibles du harcèlement sexuel
Alors qu’un nombre croissant d’entreprises se trouve aujourd’hui sous surveillance publique, éviter les plaintes pour harcèlement est devenu un impératif. Parmi les différentes méthodes qui permettent de mettre en place un plan de prévention efficace, les politiques ex ante (basées sur les prévisions) semblent infiniment plus durables que les politiques ex post (soit les réactions au cas par cas). Ceci est principalement dû à des considérations pratiques.
Comme le montrent plusieurs articles de recherche, publiés suite au tourbillon médiatique provoqué par le scandale Weinstein, le harcèlement entraîne des coûts économiques visibles et non visibles. Négliger ces deux paramètres serait une énorme erreur.
Premièrement, les coûts visibles. Souvenons-nous de l’affaire de la Century Fox. En novembre 2017, la compagnie américaine a avoué avoir déboursé 90 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites pour harcèlement sexuel dont elle faisait l’objet. C’est ce qui a conduit son président exécutif, Lachlan Murdoch, à s’engager à promouvoir un « milieu de travail plus sain ». 50 millions de dollars ont été versés pour régler les différends et 40 millions ont servi à payer les membres de la direction qui ont été limogés suite au scandale.
Une solution possible pour éviter les coûts visibles consisterait à mettre en œuvre une politique de transparence, selon laquelle les entreprises accepteraient de dévoiler le montant versé en dédommagement des plaintes pour harcèlement. L’établissement d’un classement des entreprises les plus performantes enverrait un message fort au grand public. Il permettrait de valoriser les entreprises qui offrent les conditions de travail les plus saines, ce qui aurait des conséquences positives en termes de communication RH. A contrario, les entreprises figurant au bas du classement perdraient de leur attractivité auprès des meilleurs talents. Naturellement, cette idée est loin d’être parfaite et nécessite du temps pour être mise en application. Du même coup, les clauses de confidentialité (NDA) seraient rendues publiques, comme le résultat naturel des plaintes pour harcèlement.
Des coûts invisibles et invalidants
Les coûts invisibles engendrent un passif plus lourd que les coûts visibles. Ceux-ci peuvent être répartis de la manière suivante :
La définition du harcèlement sexuel varie en fonction du lieu où l’on se trouve
À part le problème des coûts, la question principale reste de savoir ce que l’on entend par harcèlement sexuel au travail. La crainte que la répression du harcèlement sexuel décourage, sinon tue, toutes sortes d’interactions informelles sur le lieu de travail est une objection fréquemment formulée. Établir une distinction nette entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas devrait être la première réponse évidente à cette objection.
Or, les choses se compliquent lorsque la définition du harcèlement sexuel est dépendante d’un système juridique. Aux États-Unis, par exemple, La Commission américaine de l’égalité d’accès à l’emploi (Equal Employment Opportunity Commission ou EEOC) définit le harcèlement sexuel comme des « avances sexuelles non consenties » qui interfèrent avec les performances professionnelles de la victime ou qui créent « une environnement de travail intimidant, hostile voire offensant ». La loi française, quant à elle, considère le « harcèlement moral » comme un comportement qui entraîne une dégradation des conditions de travail d’un individu de façon « à porter atteinte aux droits, à la dignité et à la santé mentale ou physique de la victime, voire à compromettre sa carrière professionnelle ». L’Agence fédérale allemande contre les discriminations (Antidiskrimnierungsstelle) mentionne aussi la dignité de la victime mais fait la distinction entre harcèlement et harcèlement sexuel. Selon l’agence, « à la différence du harcèlement, le harcèlement sexuel n’implique pas nécessairement la création de conditions humiliantes ».
Un tiers des femmes se mure dans le silence
Malgré la multiplicité des définitions juridiques données au harcèlement sexuel et aux perceptions sociales, les expériences relatées par de nombreuses victimes présentent un point commun : l’extrême difficulté à rompre le silence qui entoure le phénomène. Cette difficulté commence par la prise de parole et se termine par une clause de confidentialité de leur contrat, qui coupe court à toute discussion future. Il n’est donc pas surprenant qu’un tiers des victimes garde ce traumatisme pour elles, s’imposant la « loi du silence ».
Au-delà de cette autocensure, de nombreux responsables des ressources humaines considèrent, à tort, le harcèlement sexuel comme une infraction disciplinaire parmi d’autres. Cette approche néglige une donnée importante du problème : les victimes brisent l’omertà seulement si les plaintes sont prises au sérieux et si elles sont gardées confidentielles.
Ces deux objectifs sont atteints par la conduite de procédures dédiées qui diffèrent des procédures habituelles, normalement réservées aux infractions disciplinaires. Une seule plainte implique la désignation d’une personne parmi les employés de l’entreprise. De plus, l’entreprise doit informer la victime que cette procédure exceptionnelle ne la privera pas de ses droits à porter plainte auprès de la police ou du tribunal. Les solutions internes et externes ne s’excluent pas mutuellement.
Les procédures de recours
Enquêter pour savoir ce qui s’est réellement passé peut très vite tourner au casse-tête. En effet, le harcèlement sexuel peut prendre des formes multiples, de la simple blague aux actes inappropriés à connotation sexuelle, par exemple. L’efficacité d’une telle procédure tient essentiellement à son intégrité. Comme le suggère la Harvard Business Review, « une politique ferme et juste, prévoyant des sanctions, est à la fois préventive et dissuasive ». Voici les 4 règles d’or :
Le mouvement #MeToo a fait en sorte que les entreprises soient sous surveillance rapprochée et doivent maintenant démontrer qu’elles luttent efficacement contre le harcèlement sexuel et prennent en compte les coûts induits. Un tel changement ne peut être mesuré que sur le long terme et constitue un terrain de recherche et d’investigation idéal à la fois pour les universitaires et les journalistes. Cependant, il apparaît clairement que les entreprises doivent prendre en charge, au quotidien, les cas de harcèlement sexuel afin d’assurer l’efficacité des mesures anti harcèlement.
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Matteo Winkler
Matteo WINKLER est professeur à HEC Paris. Il est l’un des principaux chercheurs dans le domaine des droits de la communauté LGBTI.
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