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Masculins ou féminins, les parfums en perdent la tête. Et les frontières s’entrecroisent ou se chevauchent. Dans notre imaginaire, certaines odeurs seraient réservées à l’homme… jusqu’au jour où les femmes décident de s’en asperger.
Fermez les yeux, videz-vous l’esprit et laissez remonter les souvenirs à la surface, l’odeur de la tarte aux pommes de votre mère, celle du grenier ou de la cave d’une maison de vacances, les embruns de la mer ou l’herbe fraîchement coupée… Les parfums ont ce même pouvoir, nous émouvoir et nous transposer dans un ailleurs. Un sillage dans la rue peut tout à coup nous renvoyer l’image d’un proche, faire surgir le plaisir de s’être blotti dans les bras qui d’une grande-mère, qui d’un amant. Car chaque parfum imprègne nos neurones et déclenche des émotions. Et ce, depuis la nuit des temps. Les historiens font remonter son usage dès le néolithique, en version rustique, où l’homme frottait son corps de plantes et d’aromates. Le développement de la fabrication des parfums, on le doit à l’Orient qui maîtrisait des techniques inconnues en Occident et rapportées par les Croisés. L’ouverture de la route des épices et de ces nouveaux produits ont aussi chamboulé le monde olfactif de l’époque. Le clergé, au Moyen-Âge, en restreint l’usage à ses propres rites et il est assez surprenant d’apprendre que ce serait le manque d’hygiène aux siècles suivants qui aurait favorisé l’utilisation du parfum. Il servait à masquer les mauvaises odeurs. En effet, l’eau avait plutôt mauvaise réputation, on la soupçonnait de propager les maladies… Alors on parfumait les vêtements, en particulier les gants. Cela a d’ailleurs été remis au goût du jour, le temps d’une collection capsule entre Guerlain et la maison Agnelle en 2014.
Les gants, les éventails, les cuirs aussi. La cour devait être un lieu où l’anosmie était une bénédiction… ou alors, les nez étaient moins fragiles que les nôtres ! Autre étape notable, la création de l’eau de Cologne vers 1720, grâce aux progrès des techniques de distillation. Les premières grandes « égéries », “ambassadeurs” comme on les surnommerait aujourd’hui, furent Napoléon et Louis XV, lequel ordonna même le port d’un parfum différent chaque jour au sein de la cour.
Le parfum reste toujours un produit rare, fait sur commande et réservé à l’aristocratie ou aux fortunés tout du moins. Il se démocratise vers la fin des années 1800 avec l’arrivée des grands magasins, de l’industrialisation et de la publicité. La femme est la première à succomber à ses charmes et révèle ainsi sa nature. Rien n’est anodin et le choix d’une senteur peut même se révéler “politique”.
Les premiers parfums pour hommes étaient associés à l’univers du rasage et de la toilette et ces derniers étaient toujours inquiets lors de leur achat de prendre des produits qui remettent en cause leur virilité, d’où l’importance de la mention “parfum pour homme”. Même si désormais, la frontière tend à s’estomper de plus en plus avec les jus mixtes. Calvin Klein a senti la tendance le premier avec le lancement en 1995 de cK One, dont les notes de thé, bergamote, fruits et épices étaient conçues pour plaire aux deux sexes. Et ainsi battre en brèche l’imaginaire collectif qui voudrait que les notes soient stéréotypées comme masculines ou féminines. Il est d’usage d’associer des notes aromatiques (romarin, lavande), celles dites fougères ou boisées aux hommes et les fragrances florales, fruitées et gourmandes aux femmes qui, soit disant, renverraient à une notion de fragilité et de délicatesse. Si cela reste vrai dans le mass market, l’émergence des parfums de niche a fait voler tout ça en éclats : eux qui sont imaginés pour traduire une émotion plus que pour rentrer dans une catégorie ultra marketée.
Mais on n’échappe pas à des années d’endoctrinement et les parfums continuent à être “genrés”, même si la publicité surfe sur un entre-deux ou la réunion de deux opposés comme pour Match Point, la toute dernière eau de toilette de Lacoste : un homme et une femme qui se lancent chacun d’un pont pour “communier” et partager leur “odeur”. Et pourtant, malgré ce film promotionnel, Match Point se présente comme une eau totalement masculine, où le basilic dégage un souffle frais et herbacé, une plante aromatique à la senteur puissante, encore amplifiée par l’ajout de poivre rose dans les notes de tête. Ce jus à la fraîcheur saisissante est charpenté par l’utilisation du vétiver, une des matières fétiches dans les parfums pour homme dont il n’existe pas moins de douze espèces.
Autre parfum de 2020 qui se revendique pleinement masculin : Silver, l’interprétation de la création originale de Cerruti 1881, qui fête ses 30 ans. Quant à Aimez-moi comme je suis, de Caron – dont le nom n’est pas sans rappeler ceux donnés en 1916, N’Aimez que Moi, ou en 1996, Aimez-moi -, il laisse un sillage boisé dans lequel un vétiver d’Haïti surdosé amplifie la persistance de la masculinité. En duo avec la noisette, ce sillage plein d’audace est celui d’un homme “libre et affranchi”, comme l’affirme la maison. Moins “genrée”, l’eau de parfum Huygens, Le Parfum Originel affiche lui aussi du vétiver, des senteurs capiteuses de patchouli et de benjoin adoucies par de la mandarine et les effluves vanillées de l’amande. Un masculin qui peut aussi plaire aux femmes qui aiment les parfums “de caractère”. La maison en fait la promotion en le décrivant comme “un oriental boisé et sensuel”. A chacun de se faire sa propre opinion.
Masculin-féminin, BDK refuse d’entrer dans ce jeu-là et s’entoure de nez auxquels il est demandé de recréer une atmosphère, une émotion. Pour sa collection Azur, c’est la Méditerranée qui est à l’origine des créations. Ainsi Sel d’Argent, avec ses notes de pamplemousse, de bergamote et de fleur d’oranger de Tunisie, évoque pour David Benedek “les balades dans les maquis corses et les après-midi en bord de mer”. Ce parfum frais, rehaussé de notes iodées, est néanmoins sensuel par l’apport, entre autres, de muscs blancs, d’ambroxan et de de Tim-bersik qui donnent une touche boisée ambrée avec une délicate pointe de violette. Homme, femme, la distinction devient difficile. Et le « mâle » devient de plus en plus difficile à suivre, surtout quand ses compagnes décident de subtiliser leurs parfums. Justement, on revient aux sensations pures… où le parfum a le pouvoir de nous envoyer dans un ailleurs. Alors, bonne route à tous !
Léa Bruel. MILLER
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