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Donner les clés aux marques d’aller « au-delà du storytelling », telle est l’ambition d’Olivier Sère, vice-président de l’agence Havas Paris. L’auteur de Ces entreprises qui vous racontent des histoires (Dunod, 2021) livre ses réflexions sur la construction d’un récit de marque « inspirant et efficace ».
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Olivier Sère : Nous arrivons à un moment, dans les métiers du marketing et de la communication, où nous ne pouvons plus nous raconter des histoires – sans mauvais jeu de mot. Pendant longtemps, nous avons vécu sur les bases du storytelling, en imaginant que s’arranger avec les faits et maquiller la vérité pouvaient suffire à raconter l’histoire des marques. Or, aujourd’hui, ce n’est plus possible : le contexte d’urgence climatique, de crise démocratique et de remise en cause du capitalisme fait que les entreprises sont réinterrogées sur leur utilité et leur essentialité. Elles sont obligées de raconter la vérité et de donner du sens avec transparence. Aussi, les entreprises qui joueront le jeu auront un rôle à jouer dans la cité ; celles qui pensent continuer à nous enfumer feront face à l’absence de pitié des citoyens.
Ce besoin de faire de la pédagogie autour d’un discours de vérité a donc été le principal déclic ?
Oui. D’autant plus que quand je cherchais des éléments de réponses, je n’ai pas trouvé de littérature, en France ou à l’étranger, qui adressait cette urgence-là. Depuis trois ou quatre ans, nous sentons monter un besoin d’authenticité, avec une accélération assez claire depuis la loi Pacte, entrée en vigueur en avril 2019, et le confinement de mars 2020. Les entreprises sont à la croisée des chemins : pour construire le monde d’après, elles ne peuvent plus simplement s’appuyer sur le passé. À elles, donc, d’emprunter le chemin vertueux qui consiste à bâtir un récit sincère, authentique, novateur, engagé, incarné et inclusif. Un chemin plus escarpé, mais qui permet de délivrer la bonne histoire et de retisser un lien avec les consommateurs. Nous vivons en fait dans un paradoxe : toutes les études internationales nous montrent que les citoyens pensent que les entreprises peuvent changer le monde et qu’elles ont, davantage que les États, la capacité de faire bouger les lignes ; et de l’autre, des études font état des doutes de la population quant aux actes et aux discours de marques. Je crois que les deux aspects sont réconciliables grâce au récit.
Le titre de votre livre, Ces entreprises qui vous racontent des histoires, souligne bien cette ambivalence…
L’expression est effectivement à double tranchant. Il y a cette idée d’enfumage des métiers de la communication et du marketing que l’on somme « d’arrêter de raconter des histoires ». Le sujet des fake news exacerbe encore ce « dark side ». Et en même temps, si l’on raconte des histoires depuis la naissance de l’humanité et si l’on continue à en raconter aux plus jeunes enfants pour les éveiller et les éduquer, c’est qu’il y a une puissance incontestable de la narration. Cette narration n’est puissante que si elle est sincère et authentique. Elle est mortelle, si elle prend trop de chemins de traverse par rapport aux faits et trop d’arrangements par rapport à la vérité.
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Qu’est-ce qui fait la différence pour vous entre une bonne et une mauvaise histoire ?
Il y a ce mot pivot de la sincérité. Plus que l’authenticité, la co-construction ou la vision inclusive, la sincérité signifie que si l’on ne se ment pas à soi-même, on ne ment pas aux autres. Si l’entreprise arrête de se mentir sur qui elle est, d’où elle vient, là où elle va et comment elle y va, mais aussi sur la manière dont elle s’est réconciliée avec ses communautés et a accueilli le sens de l’histoire, alors elle va pouvoir lâcher prise par rapport à des éléments qui polluaient sa narration et son comportement. La sincérité ouvre un cercle vertueux, qui peut être alimenté par des preuves, des actes, des nouveaux pans de l’histoire. Une fois que nous avons trouvé ce bon chemin, il faut travailler pour arriver à le raconter. Les 10 chapitres de ce livre sont 10 voies de passage pour essayer de trouver la bonne équation entre des polarités opposées : les racines de l’entreprise et un futur (où mettre le curseur?) ; la petite histoire (du quotidien) et la grande histoire ; la communication corporate et la communication marketing et commerciale ; la publicité et la préservation de sa réputation sur les marchés financiers (à travers l’equity story) ; l’immobilisme et l’innovation ; le local et l’international ; la personnalisation des messages et le récit universel, etc.
Dans les 10 pistes que vous explorez pour raconter l’entreprise, il y a notamment l’expression de la raison d’être. Vous dites que c’est un « exercice désormais indispensable mais extrêmement délicat ». Pourquoi ?
La raison d’être vient dire l’utilité de la société. Elle a une profondeur quasi-philosophique et une vocation à durer plusieurs décennies. C’est pourquoi elle doit être travaillée avec une grande sensibilité et une grande délicatesse. Ce n’est pas du tout un exercice de communication. Mais si ce n’est pas un objet de communication, comme une signature ou un logo, c’est un enjeu essentiel de communication pour l’entreprise. La raison d’être doit dire aux différentes parties prenantes en quoi l’entreprise est utile dans la société et quels sont les engagements pris pour démontrer cette utilité. La raison d’être, en soi, n’est que déclarative. Il est intéressant de passer de la raison d’être à la raison d’agir : comment met-on en mouvement des preuves démontrant que le discours trouve des prises dans le concret. Les entreprises qui arrivent à faire cet exercice ont tout à y gagner vis-à-vis des collaborateurs ou des consommateurs. La raison d’être devient à la fois une boussole stratégique pour l’entreprise – elle dit à quoi elle sert – et un moteur pour embarquer les parties prenantes dans le projet d’entreprise.
La raison d’être s’impose-t-elle finalement comme le point de départ pour raconter son histoire ?
L’exercice de la raison d’être encapsule le mouvement de raconter une histoire sincère, authentique, novatrice, engagée, incarnée, co-construite, etc. Elle restitue une nouvelle table de la loi de l’entreprise. Et à partir de là, il va effectivement être possible de donner une colonne vertébrale à la manière dont l’entreprise va s’exprimer. L’entreprise doit quitter la posture à la Milton Friedman des années 70 où l’objectif principal était de faire du business et de la rentabilité pour les actionnaires. Aujourd’hui, l’objectif prioritaire doit être de contribuer au progrès humain, de participer à l’évolution harmonieuse de la société et de trouver sa place dans ce mouvement. C’est comme ça que l’entreprise doit se raconter.
Vous citez, notamment, les marques Veolia et Orange comme des cas d’école d’un bon récit de la raison d’être. Qu’est-ce qui en fait, selon vous, des modèles ?
Veolia est l’une des premières marques à avoir défini une raison d’être. C’est dû au profil du président-directeur général de Veolia, Antoine Frérot, qui a une double casquette : la présidence de Veolia et celle de l’Institut de l’entreprise. Se faisant, il se pose en parrain du capitalisme responsable en France et se devait d’avoir une posture réfléchie. La raison d’être de Veolia a été co-construite dès 2018 avec le Top 500 – les 500 premiers cadres de l’entreprise – et avec un « talent pool » de jeunes salariés, qui ont été consultés sur l’identité du groupe, ses atouts et sa stratégie 2020-2023. Un premier texte a été soumis aux « Critical Friends », un comité réunissant les parties prenantes externes du groupe. En 2019, la raison d’être est dévoilée lors de l’assemblée générale de Veolia, sous la forme d’un film manifeste et votée lors d’une résolution. Cette raison d’être fait 556 mots ; c’est quasiment une raison d’être-Constitution. Il s’est agi que les collaborateurs s’en emparent, d’où l’idée de faire vivre le texte à travers une fresque murale qui démarre dès l’entrée et traverse tout siège social, montrant que la raison d’être est constitutive de l’action au quotidien de l’entreprise. Le contrat est très fort entre l’entreprise et les parties prenantes. Chaque collaborateur a dû s’emparer de l’un des 556 mots, et le faire vivre à travers une vidéo collaborative, pour raconter sa raison d’être personnelle, selon son métier.
Et pour Orange ?
La raison d’être d’Orange a quant à elle était initiée par Stéphane Richard. A travers son compte Twitter, en juin 2019, le directeur général d’Orange a envoyé un tweet invitant tous les salariés d’Orange à réfléchir ensemble à la raison d’être de l’entreprise. Des milliers de réponses ont abouti à la raison d’être reposant sur le trépied « confiance, inclusion numérique et responsabilité environnementale » : « Orange est l’acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable. » L’intérêt porte sur un process de co-construction et d’appropriation de l’ensemble du corps social à partir d’un tweet – salué par Twitter comme l’une des meilleures utilisations du réseau.
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J’invite tous les salariés @orange à réfléchir ensemble à notre #RaisondEtre. Selon vous, quel est le rôle d’@orange dans la société ? Je crois en notre intelligence collective : rejoignez la réflexion et partagez votre vision sur un post-it #HumanInside pic.twitter.com/rkGV9EM2jk
– Stéphane Richard (@srichard) June 12, 2019
L’éviction d’Emmanuel Faber de la présidence de Danone, le 14 mars, est-elle le symbole d’un coup d’arrêt porté au capitalisme responsable et, donc, à la raison d’être ?
Je ne le crois pas. L’entreprise doit concilier la rentabilité et son engagement sociétal et environnemental. Ce qui était reproché à Emmanuel Faber était moins cette vision, qui est bonne, et cette dynamique initiée par le fondateur de Danone, Antoine Riboud, qu’une mauvaise gestion de la gouvernance – sans découpage des fonctions entre direction générale et présidence. Cela ne remet pas en cause la performance with purpose.
Vous dites qu’il y a des règles à respecter pour accoucher d’une raison d’être digne de ce nom. Quelles sont-elles ?
Qu’est-ce qui manquerait au monde si mon entreprise n’existait pas ?
La raison d’être est égale à engagement + expertises métiers + contribution au bien commun. S’il n’existe pas une seule façon de livrer sa raison d’être, j’ai des convictions : la première est que la raison d’être est un sujet de stratégie d’entreprise, qui doit être traité au plus haut niveau, car il s’agit de répondre au sujet d’existence même de l’entreprise au travers de la question : Qu’est-ce qui manquerait au monde si mon entreprise n’existait pas ? Deuxième élément : la raison d’être doit être écrite dans une vocation quasi éternelle. Troisième élément : toutes les raisons d’être ne se valent pas. Quatrième élément : la raison d’être est une affaire de soft leaders. Une fois qu’elle est posée, il faut continuer à la nourrir avec des discours et des actes au plus haut niveau, puis trouver des idées transformatives autour de la raison d’agir – comme la création d’un management plus horizontal, d’un incubateur de start-up, d’un social business en parallèle du modèle économique ou d’une coalition d’entreprises dans son secteur pour défendre des sujets sociétaux ou environnementaux. Cinquième élément : la raison d’être est plus forte lorsqu’elle est démocratique, car co-construite en amont, par exemple. Sixième élément : la raison d’être est plus forte quand elle s’inscrit dans une stratégie de communication globale. Enfin : la raison d’être est plus forte lorsqu’elle se déploie auprès de ses cibles, au niveau du corps social, de ses consommateurs, des médias, des ONG, notamment.
Ce sont aussi des règles qui peuvent être adaptées, au-delà de la raison d’être, à la narration de son histoire ?
Oui, ces convictions doivent s’adapter aux nouvelles narrations qui vont au-delà du storytelling, pour raconter une bonne histoire, crédible, argumentée, habitée par des engagements concrets.
Est-ce que la crise du Covid-19 change la façon dont les entreprises racontent des histoires ?
J’ai le sentiment que la crise n’a pas révélé une nouvelle façon de se raconter, qui existait depuis trois ou quatre ans. Mais, la crise a accéléré la nécessité de se raconter autrement. Les crises sont des catalyseurs d’éléments plus latents dans la société et à la faveur de sa violence, se crée une radicalité entre le monde d’avant et le monde d’après, y compris en matière de narration des entreprises.
Olivier Sère, Ces entreprises qui vous racontent des histoires, Au-delà du storytelling (Dunod, 2021)
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