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Qu’il s’agisse de transactions ingame ou de publicités, le marché du jeu vidéo ne se limite plus à un simple acte d’achat unique. Un modèle économique en pleine mutation, et qui peine parfois à trouver ses limites.
“Le maximum que j’ai dépensé dans un jeu ? Ça doit être autour des 1 000€ sur FIFA, nous confie Camille 35 ans. C’est évidemment quelque chose que tu regrettes sur le coup”. Les microtransactions sont aujourd’hui monnaie courante dans l’industrie vidéoludique mais mises bout-à-bout, elles n’ont parfois plus rien de “micro”. Et si la plupart des utilisateurs se contentent de dépenser quelques dizaines d’euros pour un skin ou DLC, certains joueurs, comme Camille, n’hésitent pas à multiplier les passages en caisse.
Il faut dire qu’aujourd’hui, lorsque l’on s’offre un jeu vidéo, on n’achète plus un produit fini, mais tout un écosystème. Qu’il s’agisse de mises à jour, de maintenance technique, d’évènements online ou d’ajouts de contenu, l’industrie vidéoludique revêt désormais une vision plus ambitieuse, et surtout à plus long terme. Un changement de paradigme qui nécessite pour les éditeurs de trouver de nouvelles mannes financières destinées à rentabiliser leurs productions sur le long terme, mais qui finit parfois par plonger la tête la première dans l’attrait du pay-to-win.
DLC, jeux de hasard… Quand l’expérience ingame se monétise
Officiellement, les achats ingame dans un jeu vidéo ne sont jamais obligatoires. Qu’il s’agisse de DLC, de loot boxes ou d’items supplémentaires, les microtransactions sont uniquement destinées à enrichir l’expérience de ceux qui le souhaitent, laissant aux autres la liberté de consommer sans payer plus. La promesse est belle, mais s’avère souvent trompeuse, notamment sur les jeux compétitifs en ligne, qui pratiquent presque ouvertement une politique pay-to-win, explique Camille : “Sur Hearthstone par exemple, il y a régulièrement de nouvelles extensions qui sortent. Pour t’amuser et monter un deck qui te plait, il faut soit passer un temps fou sur le jeu, soit payer. Tu es en quelque sorte obligé de passer à la caisse pour pouvoir en profiter”. Sur le jeu de cartes de Blizzard comme sur beaucoup d’autres, il est ainsi devenu nécessaire de passer régulièrement à la caisse pour obtenir du contenu supplémentaire, poussant les joueurs à ne plus compter uniquement sur leurs skills pour rester compétitifs.
Le pay-to-win est devenu légion sur certains jeux compétitifs, mais il sévit aussi sur les titres solos. Dans Les Sims 4 par exemple, le jeu de base est facturé 49,99€ sur PC. Un prix plutôt correct pour les joueurs, qui se heurtent pourtant rapidement aux possibilités très limitées offertes par ce dernier. Pour y remédier, Electronic Arts nous propose alors d’enrichir notre expérience avec l’une de ses 9 extensions (vendues 39,99€ pièce), 9 packs de jeu (vendus 19,99€), et 17 kits d’objets (9,99€). Au total, pour bénéficier de l’ensemble des fonctionnalités offertes par la licence, et ainsi profiter “pleinement” du jeu, il faut ainsi dépenser près de 759,99€. Un exemple flagrant de pay-to-play pour la licence d’Electronic Arts, surtout quand on sait que de nombreuses fonctionnalités autrefois disponibles sur les anciens jeux de la licence sont aujourd’hui introuvables dans Les Sims 4.
Autre machine à cash de l’industrie vidéoludique, les loot boxes , véritable loterie virtuelle où la promesse d’obtenir un item rare cache une réalité de drop très faible et souvent décevante. “Avec les loot boxes, tu es souvent frustré, ce qui t’incite à y retourner, comme au casino. Tu as ce sentiment de t’être fait arnaquer, mais tu y retournes”, note Camille. Pour beaucoup de joueurs, ces boîtes à butin — et surtout leur absence de réglementation, se transforment parfois en véritable gouffre financier. Avec des mécaniques aléatoires reposant sur le principe des jeux de hasard, le phénomène, particulièrement addictif rapporte en effet plusieurs milliards d’euros à certains éditeurs (1,5 milliard à Electronic Arts en 2019 et son mode Ultimate Team sur FIFA, NBA Live et Madden NFL), d’autant plus qu’il n’est pour le moment pas réglementé en France.
C’est ce vide juridique autour des loot boxes qui a poussé Victor Zagury et Karim Morand-Lahouazi, avocats pénalistes au barreau de Paris, à déposer une plainte contre Electronic Arts en février dernier. Le but ? Réguler le marché des loot boxes en France et notamment celui du mode FUT sur FIFA 20. Appuyée par les témoignages de nombreux joueurs — certains ayant dépensé plus de 15 000€ ingame, la procédure vise à contraindre l’éditeur à proposer un système de jeu plus juste, mais surtout plus transparent. Une situation inédite en France, mais qui fait pourtant écho à plusieurs autres plaintes similaires, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, où les loot boxes sont désormais interdites, mais aussi au Canada, où deux joueurs ont intenté il y a quelques semaines une action de groupe contre Electronic Arts. Concrètement, si la France venait à elle aussi, à catégoriser les loot boxes comme des jeux d’argent, cela impliquerait non seulement une plus grande transparence auprès des joueurs (notamment concernant le taux de drop), mais aussi une interdiction aux mineurs. Une situation qui rendrait leur intégration ingame bien plus complexe et contraignante pour les éditeurs, et qui mènerait sans doute à leur suppression définitive.
A l’heure où de nombreux pays commencent à considérer les loot boxes comme des jeux de hasard, et que de plus en plus de joueurs rechignent à adhérer au modèle pay-to-win, c’est toute une partie du marché vidéoludique qui menace de s’effondrer. Face à cette situation, les éditeurs se tournent inévitablement vers de nouvelles mannes financières, nous explique Jean Michel, Live Producer pour un studio vidéoludique français : “La réglementation, voir l’interdiction progressive des loot boxes est un problème pour les éditeurs et les développeurs, et nécessite de trouver de nouveaux moyens de faire rentrer de l’argent. Pour ça, tu peux produire des DLC, des microtransactions, proposer des abonnements premiums… Ou tu peux inclure de la publicité, mais c’est sujet à polémique”.
Intégrer des publicités dans un jeu déjà payant, l’idée paraît aberrante, mais elle n’est pourtant pas nouvelle, notamment sur les licences de sport. Sur FIFA ou Madden par exemple, les annonceurs apparaissent ouvertement en arrière-plan des matchs sur des banderoles promotionnelles. Il y a un mois pourtant, Electronic Arts a poussé le curseur un cran plus loin, en intégrant une publicité plein écran pour la série The Boys d’Amazon Prime, lors d’un replay de match dans UFC 4. Une situation particulièrement intrusive et très peu appréciée par les joueurs, d’autant plus que le jeu est déjà vendu près de 50€ sur PS4.
Face aux critiques, EA a finalement présenté ses excuses et retiré les publicités superposées de ses jeux. Pourtant, la pub ingame pourrait bien devenir la norme à l’avenir, assure Thomas Grellier, cofondateur de l’EMIC et directeur du master 2 marketing jeu vidéo : “C’est un modèle qui est testé actuellement en effet, et dont les retours positifs ou négatifs sont scrutés avec grande attention. Il y a fort à parier que pour les licences de sport, ce type de publicité sera à nouveau implémenté”. Il y a quelques jours à peine, c’était en effet au tour du jeu NBA2K de recevoir les foudres des joueurs après l’intégration d’un clip publicitaire impassable pendant les temps de chargement rapporté par le site Stevivor. Comme pour Electronic Arts, l’éditeur a finalement retiré ses publicités, en arguant que cette dernière avait été placée là “par erreur”.
Le jeu vidéo 2.0 peut-il être rentable et juste pour tout le monde ?
Il est complètement légitime qu’un éditeur cherche à rentabiliser et à maximiser les profits autour de ses jeux vidéo. En revanche, lorsque cette course au bénéfice impacte directement l’expérience ingame des joueurs, la situation devient largement plus problématique. Pourtant, des solutions existent pour garder un jeu rentable sans avoir à augmenter son prix ou à opter pour un modèle pay-to-win. C’est notamment le cas de titres comme Dota 2 ou Fortnite par exemple, qui concentrent leurs microtransactions sur des éléments uniquement cosmétiques, parvenant ainsi à établir un modèle économique très rentable, mais qui n’influe pas sur les performances des joueurs.
Autre nouveau modèle aujourd’hui en pleine expansion, le système de jeu par abonnement. Largement démocratisé par l’arrivée des services de cloud gaming, ce dernier permet aux joueurs, moyennant un prix mensuel fixe, d’accéder à tout un catalogue de titres régulièrement mis à jour. Une solution intéressante pour les hardcores gamers, mais encore susceptible de bloquer certains casuals comme Mina, 26 ans, joueuse occasionnelle, qui avoue préférer : “acheter un jeu à la fois, quand celui-ci m’intéresse vraiment, plutôt que de payer un abonnement sans être sûre que les jeux vont me plaire, comme c’est le cas sur Netflix.”.
Pour diminuer les coûts de production sans rogner sur la qualité d’un jeu, et sans se couper d’une partie de son public, les développeurs commencent également à imaginer de nouvelles parades, explique Jean Michel : “Tu peux éviter d’augmenter les prix — voir les baisser, en proposant des productions plus petites, donc moins coûteuses et en conséquence moins risquées à rentabiliser”. En calibrant l’aventure solo d’un jeu sur un mode histoire plus court, de plus en plus de studios indépendants parviennent ainsi à proposer des jeux aboutis, et mieux maîtrisés sur le plan financier. C’est par exemple le cas de l’excellent Limbo (5 heures de jeu), ou plus récemment de Celeste, sorti en 2018, et ses dix heures d’aventure. “Les joueurs commencent d’ailleurs à être plus réceptifs à ce genre de productions”, rappelle Jean Michel : “Mieux vaut parfois un jeu plus court, moins cher, mais mieux maîtrisé, plutôt qu’un jeu ultra calibré, plein de contenu et vendu cher, que tu ne finiras pas”. Aujourd’hui, certains AAA se laissent d’ailleurs tenter par ce nouveau modèle financier, à l’instar de Cyberpunk 2077 qui verra son mode histoire plus court que celui de The Witcher 3. Une décision prise après le constat du très faible taux de complétion des joueurs sur les dernières aventures de Geralt de Riv, expliquaient il y a peu les développeurs de CR Projekt RED. Idem concernant Electronic Arts avec Star Wars Squadron, sorti ce mois-ci et vendu moins de 39,99€, pour une petite dizaine d’heures de jeu en mode histoire.
Today, we turned off in-game purchases for #StarWarsBattlefrontII. The game is built on your input, and it will continue to evolve and grow. Read the full update: https://t.co/asGASaYXVp pic.twitter.com/vQSOmsWRgk
— EA Star Wars (@EAStarWars) November 17, 2017
Le marché vidéoludique est un secteur en pleine mutation, qui nécessite d’une part de rentabiliser au mieux des productions toujours plus ambitieuses, mais de l’autre, de respecter la communauté en refusant les systèmes pay-to-win. Dans le cas contraire, il s’agira pour les joueurs de faire entendre leurs voix en réclamant un modèle plus équitable, comme lors de l’affaire Star Wars Battlefront 2 en 2017, durant laquelle Electronic Arts avait été contraint de supprimer les achats ingame et de revoir l’intégralité de son système de progression après une mobilisation massive et une plainte de l’UFC Que-choisir. Preuve que lorsqu’ils montent au créneau, les joueurs peuvent toujours avoir le dernier mot.
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