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Les articles, les études, les webinars sur le sujet du travail à distance ne manquent pas. Pourtant, plusieurs angles morts échappent aux prévisions des entrepreneurs, des managers et des RH. Si l’on travaillait déjà à distance, on ne mesure qu’aujourd’hui les effets de bord de cette massification du télétravail.
Le nouvel empire numérique des petits chefs
Les petits chefs en présentiel n’ont pas disparu, il se sont déplacés dans le monde digital et s’expriment maintenant encore plus au travers des nombreux e-mails qu’ils envoient, ajoutant allègrement en copie les chefs, les chefs des chefs de leurs interlocuteurs. Il y a plusieurs raisons à ce phénomène au-delà de la nature humaine, c’est aussi l’expression d’un besoin de se rassurer et d’exister à la fois, un petit besoin de contrôle aussi.
Ils génèrent ainsi une infobésité, une info-fatigue aussi, contribuant au stress inutile ambiant. Il exercent ainsi une pression inutile. Ce sont les mêmes qui organisent les visio-apéro, réplication du phénomène (tristement français) de rester tard au bureau pour montrer à quel point ils sont investis. Les RH ont évidemment un rôle à jouer dans l’encadrement de ces initiatives pas toujours heureuses, mais utiles quand elles servent le dessein de garder le contact avec les collègues.
Dans ce contexte, c’est également l’accompagnement du management à distance qui devient une des priorités des plans de formation. C’est aussi le bon moment pour ré-expliquer les contours du droit à la déconnexion et favoriser l’exemplarité des managers car, rester plus tard, connecté ou au bureau, n’a jamais rendu plus efficace. Cette doctrine du présentéisme n’avait déjà plus vraiment de sens avant la crise, les outils de communications unifiées et collaboratives permettant de travailler à distance, laissant la possibilité d’amener le travail à la maison. Ce n’est donc pas nouveau.
L’angoisse des coûts du télétravail pour le collaborateur
En attendant qu’un cadre soit fixé, et négocié ou appliqué en entreprise, le collaborateur mesure avec une certaine inquiétude l’augmentation de ses frais fixes et variables liés à la mise à disposition de son espace privé à des fins professionnelles. Il se demande s’il va pouvoir se faire rembourser sa note d’électricité, ses frais Internet, ses fournitures personnelles (papier, cartouches d’encres, etc.), son chauffage… Si son entreprise se doit de lui fournir le matériel informatique (casque, micro, enceinte, webcam etc.) ou même participer à l’aménagement (siège, bureau, lampe, etc.) de cet espace bureau à la maison. Quid des titres restaurants et des frais de transports !?
Dans son guide du télétravail, le ministère du travail précise que « l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui le prévoit ». En fait, il n’apporte pas de réponse satisfaisante aux collaborateurs et les renvoie vers leurs entreprises. L’indemnité forfaitaire n’est, elle, pas aussi largement répandue que nous pourrions l’imaginer. Les entreprises ne mesurent pas encore l’impact financier et sont timides. L’indemnité d’occupation du domicile est, elle aussi, au cœur des négociations dans l’entreprise. L’employeur pouvant facilement arguer que le recours au télétravail pendant le confinement n’est pas de leur fait, mais le fait d’une décision gouvernementale. Enfin, l’accord national sur le télétravail du 26 novembre précise que les frais « doivent être supportés » par l’employeur et ce « peut être » le sujet d’un dialogue social en entreprise…
La question reste donc ouverte et occupera encore pour quelque temps la charge
mentale du télétravailleur.
La parentalité davantage prise en compte
Les périodes de confinement ont libéré l’expression des contraintes quotidiennes relatives à l’éducation des enfants : la gestion de l’école à la maison, la sortie des classes, etc. Elles ont également prouvé qu’une plus grande flexibilité horaire permettait une meilleure conciliation de ses ambitions familiales et professionnelles et le maintien sa productivité (voire même une augmentation dans certains cas) tout en s’occupant davantage de ses enfants. Nombreux ont été les collaborateurs à prolonger leurs journées de travail après 20h, afin de pouvoir s’occuper de leurs enfants quelques heures en fin d’après-midi. Nombreux ont été ceux à refuser des réunions entre 17h à 19h pour cette même raison. Cela existait, dans une moindre mesure avant, mais c’était complètement caché. Comme si le fait de vouloir s’occuper de ses enfants était un signe de faiblesse ou un manque d’engagement professionnel.
Ce sont d’ailleurs ces croyances qui incitaient de nombreuses femmes (et certains hommes également) qui en avaient le potentiel, à renoncer à progresser professionnellement. Avoir un poste à responsabilités, mais culpabiliser toute la journée parce qu’on a la sensation de passer à côté de sa vie de famille, non merci ! Autrement dit, la recherche d’une conciliation vie familiale et vie professionnelle amenait à des choix professionnels pénalisant. La généralisation du télétravail et la flexibilisation du temps qu’il offre semble être une opportunité pour inciter certaines femmes à prendre davantage de responsabilités en entreprise sans renoncer à vivre pleinement leur parentalité et à le dire ouvertement !
La gestion de la frustration d’un « retour en arrière »
Le télétravail subi, que nous connaissons durant les phases de confinement, a permis à de très nombreux collaborateurs de télétravailler 100% du temps. Parmi ces collaborateurs, certains avaient des postes non éligibles au télétravail jusqu’à présent, venaient de rejoindre l’entreprise, d’autres étaient en perte de dynamique professionnelle voire totalement désengagés.
Entre les périodes de confinement, les managers ont commencé à constater les difficultés qu’ils avaient à faire revenir au bureau leurs collaborateurs, à leur expliquer qu’un mode de fonctionnement « hybride » avec quelques jours de télétravail, deux en moyenne, serait la règle. Ceci est particulièrement problématique pour les collaborateurs qui ne sont pleinement autonomes, capables de s’auto-organiser, de s’auto-motiver. S’il parait évident au plus grand nombre qu’un télétravail à 100% ne sera pas pérennisé, les collaborateurs sont nombreux à se demander pourquoi revenir au bureau pour réaliser des tâches qu’ils auraient pu faire chez eux.
D’autres collaborateurs ne comprennent pas pourquoi on les prive de plusieurs jours de télétravail alors qu’ils pensent avoir « fait leur travail correctement » chez eux. Il est donc indispensable que les RH accompagnent les managers à donner du sens à ce qui est vécu comme un « retour en arrière ». Il est primordial que les collaborateurs prennent conscience de l’impact sur le moyen-long terme d’un télétravail 5 jours sur 5, sachent distinguer les activités qu’il est préférable de réaliser au bureau, celles qu’il est préférable de réaliser chez soi, évaluent objectivement leur niveau d’autonomie.
Le nombre de jours de télétravail ne doit pas être vécu comme un « avantage social » mais comme un modèle d’organisation du travail cohérent à un niveau d’autonomie professionnelle sans quoi, de nombreux managers devront faire face à une baisse de motivation de leurs collaborateurs. Le télétravail, vieux serpent de mer, fait une entrée fracassante dans l’agenda des organisations, en quête d’un nouveau modèle entre présentiel, distanciel et travail hybride. Il n’y aura pas de modèle unique, mais que ce soit un travail à distance encadré ou le déploiement d’un véritable télétravail, le bureau tel qu’on le connaît, la nature même des structures hiérarchiques, la relation au travail sont à réinventer.
Jean-Denis Garo est International integrated marketing director de Mitel et président du CMIT. Caroline del Torchio est consultante en RH et management.
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