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Les parfums de niche se dévoilent au grand jour. Si leur distribution reste confidentielle ou plutôt ultra-sélective, ils font désormais beaucoup parler d’eux. Les nez préfèrent évoquer des parfums d’exception où ils ne sont pas contraints et enfermés par des briefs marketing et pour lesquels ils peuvent laisser libre cours à leur imagination et composer des fragrances qui osent des risques olfactifs. Le parfum de niche, c’est l’essence même de la créativité et de l’expertise des maîtres parfumeurs.
Autrefois réservés à une élite, les parfums se sont démocratisés au fil des siècles… pour devenir un produit de grande consommation qui, néanmoins, a su préserver une certaine aura. Acheter un parfum n’est pas un acte
anodin, il est choisi avec attention et cherche à refléter une image que l’on veut donner de soi. Intense avec du musc, de l’oud, léger avec des fleuris, extravagant avec des arômes inédits, passionné en laissant un sillage chaud et enveloppant…
La haute parfumerie a glissé vers une utilisation de simple “sent-bon” pourrait-on dire guidé par des valeurs marketing. Désormais, chaque marque cherche à créer son parfum, des grands du luxe et de la mode, aux marques de prêt-à-porter… Des jus qui, comme les saisons, changent au gré des “bureaux de style” et des collections. Car le succès du parfum doit être
immédiat sous menace d’être retiré des rayonnages. Il faut donc un produit qui plaise au plus grand nombre… Cette logique, tout à fait louable, a incité nombre de parfumeurs à revenir aux sources du métier. Ne nous méprenons pas, il y a toujours eu des nez qui ont conçu des parfums singuliers sans objectif marketing, mais leur visibilité était réservée à un cercle d’initiés. En 1976, Jean Laporte en fondant L’Artisan Parfumeur avait en tête de revaloriser l’aspect traditionnel du parfum.
Pour cela, il s’était entouré d’Anne Flipo, Jean-Claude Ellena (qui depuis 2004 est le parfumeur exclusif de Hermès) et Bertrand Duchaufour. Depuis la maison a changé de braquet en étant rachetée en 2003 par l’américain Cradle Holding. Si la marque n’est plus indépendante, elle conserve encore son identité, sa qualité et sa différence. Il semblerait qu’elle n’ait pas été trop maltraitée par sa perte d’autonomie… Mais son expansion à l’étranger et un chiffre d’affaires qui a doublé en deux ans (entre 2004 et 2006) lui permettent-ils encore de s’inscrire dans le marché de niche ? C’est ce que note François Hénin, CEO de la maison Jovoy Parfums “l’une des premières choses qui arrivent à une marque de niche lorsqu’elle est rachetée, c’est généralement l’arrêt d’une distribution sélective couplée à un élargissement de gamme. (…) mais cela permet aussi à une marque à succès de s’inscrire dans la durée” JeanMichel Duriez estime lui que “le succès n’interdit pas de garder une forte personnalité et qu’on peut rester fidèle à ses valeurs et augmenter sa surface commerciale.” Quant à Valerie Pianelli Guichard, CEO de la Maison Comptoir Sud Pacifique, “le choix de rester dans la niche ou pas, n’est pas forcément lié au succès, mais plutôt aux ambitions
financières de la marque, elles dictent le choix d’une distribution confidentielle ou large.”
Alors, quid de la niche, un mot qui suscite bien des interrogations et interprétations auprès des parfumeurs. Pour François Hénin, “la niche est un environnement: les flacons, la présentation, les accessoires avec des capots richement décorés, le prix aussi. En 2019, la vraie niche prend des risques olfactifs.” Une analyse qu’il tempère néanmoins, “si il y a 10-15 ans, tout ou presque
pouvait être imaginé dans la “niche”, désormais il faut être totalement convaincant et cela démarre avec le parfum. Plus que jamais, c’est le parfum qui marque la différence de la marque.” La différence, c’est ce que met
aussi en avant Jean-Michel Duriez avec des “parfums très signés, des prix plus élevés, la rareté et un circuit de distribution réduit.” Valérie Pianelli Guichard apporte une définition plus nuancée car si “on a eu l’habitude de définir un parfum de niche dès que sa distribution reste confidentielle ou limitée, ce concept devient de plus en plus flou depuis le rachat de nombreuses marques de niche par les grands groupes.” Quant à Jean-Michel Duriez, il est prêt à abandonner le terme de niche pour se revendiquer comme “une marque de parfums d’exception car il y a très peu de parfums créés
par un maître parfumeur et portant le nom du créateur. Nous sommes 4 ou 5, pas plus.” Ce que confirme Patricia de Nicolaï, une descendante de la famille Guerlain, qui
a fait le choix de monter sa propre affaire à la fin des années 80. Elle explique que son idée première était de “remettre en avant le rôle du parfumeur.” Et dans l’ouvrage Sentir, Ressentir, (Nez Editions, 28 €), elle est d’ailleurs circonspecte sur la niche où “de nouvelles
marques prolifèrent, ce sont plus souvent des concepts marketing que des parfumeurs qui se lancent.” Ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour Jean- Léa Bruel Duriez ou elle-même.
L’Italien Luca Maffei, le nez de deux des trois parfums Jul et Mad (une maison créée en 2012), apporte lui aussi sa conception du parfum de niche. “Pour moi, c’est la possibilité de créer un jus sans un brief marketing. Avec Julien et Madalina, les fondateurs de Jul et Mad, on
discute de l’histoire que doit traduire la fragrance. Ils me parlent de leur voyage, de l’émotion qu’ils veulent transmettre. Après j’ai carte blanche pour imaginer et donner ma vision de l’émotion qu’ils veulent faire
partager. Bien sûr, on évoque ensemble les odeurs que l’on veut y trouver, mais je n’ai pas de contraintes pour m’adapter à un marché, un créneau… C’est exaltant.” Tous cependant se rejoignent sur les caractéristiques essentielles : travail olfactif original et audacieux, qualité
des compositions et des matières premières, distribution exclusive, courte et de qualité. “Je dirais que l’on prend plus de temps pour élaborer les parfums car pour une
meilleure qualité on rallonge les temps de maturation et de macération des matières”, explique Valérie Pianelli Guichard ce qui implique “une production plus limitée”
temporisée par l’analyse d’Alberto Morillas (Maison Mizensir) pour qui la production limitée n’est pas un critère pertinent pour être qualifié de parfum de niche. Il préfère insister sur la différence et tout comme ses confrères la qualité des compositions qu’elles soient
issues de molécules de synthèse (exclusives et uniques chez Mizensir) comme dans celles des naturelles. Marc-Antoine Corticchiato, parfumeur indépendant de Parfum d’Empire a une très jolie formule pour traduire la volonté de tous les nez lorsqu’il écrit : “Le fil rouge
de mes parfums, ce sont des histoires humaines.” Car le parfum, c’est une atmosphère, une ambiance, une idée qui se transforme en des fragrances qui lorsque l’on
ouvre le flacon doivent transporter dans un ailleurs et faire rêver… sans même avoir recours au visage d’une égérie ou à la beauté d’une campagne publicitaire. Le jus se suffit à lui-même ce qui ne lui interdit pas d’être contenu dans un flaconnage élégant, surprenant et tout
comme lui audacieux et unique.
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