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D’où vous vient cette passion pour Mars et l’espace ?
Ma passion pour l’espace vient de mon plus jeune âge : je me souviens clairement vouloir y voyager dès l’âge de 4 ans, comme de très nombreux enfants. Mais la particularité de ce rêve persistant est qu’il ne s’est jamais éteint, pas même à l’âge adulte, ce qu’aurait pu imposer la raison pure constatant la rareté à ce jour (sur le point de changer) des voyageurs spatiaux (560), l’absence de parcours tout tracé et l’improbabilité de réalisation.
Or, justement, l’avenir est bien souvent invraisemblable, se forme certainement parmi nos rêves collectifs les plus intentionnels, et n’est jamais linéaire. Concernant Mars, qui est clairement une étape clef de l’exploration spatiale depuis ses débuts, quand j’ai compris il y a 20 ans que notre génération voyait s’ouvrir une fenêtre technologique lui permettant d’apprendre à vivre sur une autre planète et opérer ainsi potentiellement une transition civilisationnelle de maturité, cela a ressemblé à une soudaine révélation de ce qui revêtait le plus de sens et ce à quoi je souhaitais vraiment contribuer pleinement.
Quelle a été votre réaction à l’annonce du lancement de la mission Mars One ?
Comme tout passionné de l’exploration spatiale et de Mars en particulier, je fais une veille active sur ce sujet depuis longtemps. J’ai donc pris connaissance de Mars One en 2012 avant sa médiatisation l’année suivante, sur un article du comité de sélection reprenant les similitudes d’enjeu avec l’expédition Endurance de Shackleton.
Comme la plupart d’entre nous, l’idée d’un « aller simple » et du modèle « télé-réalité » m’a initialement perturbé. Certes je savais bien qu’officieusement existait depuis les années 1990 une discussion consistante et argumentée autour du « Mars to Stay », ou « Strive to Stay » concernant les architectures mission, et que l’éthique sociétale, qui se transforme au gré des époques, consiste surtout à poser les questions en amont. Mais si on peut défendre l’idée intellectuellement, il y a encore un monde entre envisager un aller sans retour et éprouver sa réelle signification une fois prêt à partir dans la fusée, c’est évidemment un défi psychologique majeur. Cette affirmation de l’aller simple est bien sûr simpliste et je partage une vision plus complexe, articulée sur cet aspect, peut-être un peu longue à exposer ici.
Quant à la médiatisation de l’aventure depuis la sélection jusqu’à la mission elle-même en passant par l’entraînement, qui fait d’ailleurs aujourd’hui partie de toute mission spatiale, elle a non seulement un potentiel de valorisation mais aussi d’inspiration autour d’un évènement global positif fédérateur et des valeurs constructives de tout programme spatial dont le monde a besoin, bien loin d’une télé-réalité qui n’a rien de réel ou des évènements négatifs qui désenchantent aujourd’hui.
Quoiqu’il en soit, parce que curieux et passionné par la question, j’ai cherché à comprendre ce qui était intéressant dans le projet Mars One, au-delà de tout jugement hâtif.
Qu’est ce que ça fait, aujourd’hui, d’être le seul Français parmi les 100 pré-sélectionnés pour cette mission ?
De devoir jouer le jeu de la médiatisation, position dont j’étais très heureux de me mettre en retrait sur les deux premières années de la sélection : j’ai toujours eu conscience du premier risque qui était celui d’être incompris et d’embarquer ma famille dans cette distorsion. Et j’ai compris que les contraintes du flux médiatique n’autorisaient que peu la déconstruction d’une histoire superficielle et me suis dès lors concentré sur les formats plus longs et profonds qui donnent à penser plus qu’à juger ou nourrir le sensationnel.
Comment avez-vous préparé les différentes étapes de sélection ? Comment comptez-vous préparer les suivantes ?
D’abord, en étant authentique. On sait que certains traits de personnalité, de stratégie de « coping », de gestion des émotions sont protecteurs en situation isolée, confinée, en environnement extrême sont psychologiquement protecteurs. Le meilleur entraînement ici c’est le parcours de vie…
Ensuite les missions analogues simulées permettent de se mettre en condition, d’identifier les équipages prometteurs, et de tester tout ce qui est pertinent. Cela dit, certains défis d’une telle mission, comme l’éloignement inédit de notre berceau planétaire ne pourra pas être testé préalablement. Il existe donc un pari résiduel, celui de la capacité de l’humain à s’adapter aux restrictions de la vie « extra-terrestre », pour lequel on peut être optimiste, c’est mon cas, ou pas.
Enfin, j’ai souhaité éviter de rester dans une intellectualisation pure des enjeux, de garder des compétences opérationnelles et traverser l’éprouvé: je suis par exemple parti en mission en zone de guerre au Nord Mali pendant plusieurs mois, en tant que médecin opérationnel des secours hélicoporté pour les Nations-Unies, pour réaliser, entre autres, cette nécessaire « expérience du désert » car la confrontation réelle aux situations est finalement celle qui actualise ce qui peut-être imaginé.
Si le voyage se concrétise, qu’en attendez-vous ? Comment allez-vous vous préparer pour ce genre de voyage ?
Comment trouve-t-on et entraîne-t-on des équipages qui ont de bonnes chances de répondre à tous les défis, nombreux, impliqués dans un tel voyage ? C’est pourquoi le savoir-faire de Mars One est celui des ressources humaines, pas de l’ingénierie spatiale qui sera confié aux savoir-faire complémentaires, avec reconfiguration régulière de la feuille de route, agilité indispensable, avec l’intention de commencer à se préparer dès à présent.
Le défi principal étant la psychologie du groupe, la première chose à faire est de préselectionner des équipages, puis les entrainer pendant 10, 15 ou 20 ans dans tous les domaines pertinents (maintenance, opérations, exobiologie, planétologie, médecine, etc…) tout en les testant très régulièrement en missions isolées et mise en compétence des connaissances acquises. La durée particulièrement longue d’assignement suggère que les premiers groupes sélectionnés ne seront pas forcément les équipages opérationnels si le programme aboutit, ce qui renverse aussi la logique habituelle, s’agissant d’un pool d’équipages internationaux en entraînement pour une mission très spécifique sélectionnés en tant que groupe et non d’astronautes sélectionnés individuellement pour mener une longue carrière polyvalente.
A noter que pour élargir l’angle de résolution de problèmes inattendus et amplifier l’intelligence collective la diversité est primordiale : il est crucial de déformater et veiller à ce que les membres d’équipages soient très différents en cursus, culture, fonctionnement. Cependant, les conflits trouvant souvent naissance dans les implicites culturels, de nombreuses semaines chaque année devront être consacrés à s’immerger dans la culture des co-équipiers. Le chemin menant au voyage s’annonce lui-même passionnant !
Que pense votre entourage de votre éventuel départ sur une autre planète ?
La nature humaine est pleine de contradictions et les propositions de dépassement sont souvent contre-intuitives : paradoxalement s’inscrire dans un tel projet, si porteur de sens mais en apparence exclusif, intensifie la présence à ceux que l’on aime. J’ai très conscience que « tout est là », je ne cours pas après le bonheur, il est déjà tout autour de moi. Je m’inscris donc simplement dans ce qui fait sens dans une certaine perception du monde, qui fait converger par ailleurs chacune de mes passions pour l’humain, la connaissance, l’exploration, la découverte.
A partir de là, je veille à être pleinement présent en tant que père et c’est ce dont mes enfants ont vraiment besoin, autant que de leur permettre de trouver leur propre chemin, inconditionnellement : s’il fallait partir demain matin, dans leur enfance et adolescence, je vous confirme je ne partirais pas, mais le rôle parental se transforme une fois vos enfants arrivés à l’âge adulte.
Quant à la femme qui partage ma vie depuis 24 ans, elle sait combien je reste fidèle à mes engagements, et possède toute l’intelligence, l’humour, la sagesse et l’amour qu’il est certainement nécessaire pour cultiver l’importance des moments pleinement partagés, prendre du recul, et en percevoir l’angle inclusif. Elle mesure aussi je suppose combien il est improbable que je parte finalement.
En somme, comme dans un cockpit, il faut régulièrement faire cet Aller-Retour entre l’horizon d’un futur à construire et le moment présent très concret votre tableau de bord. Etre conscient et aligné dans cette ligne temporelle partiellement configurée que nous devrions tous explorer.
Quel est, selon-vous, l’intérêt de telles missions comme Mars One ? Combien de programmes comme Mars One ont déjà été effectués ? Pourquoi il semble, selon vous, di difficile de lancer de tels projets ?
L’approche proposée par Mars One est une des clefs qui permettrait à une mission habitée vers Mars de ne pas voir son horizon à 30 ans continuer à glisser dans un futur toujours plus lointain. On pourrait se demander quelle est l’urgence à l’échelle cosmologique d’une telle entreprise, mais si la fenêtre technologique s’est ouverte (nous sommes plus proche d’aller sur Mars que nous l’étions au début des années 1960’ d’aller sur la Lune) elle peut se refermer plus tôt que nous le pensons (le catastrophisme éclairé de Musk, Hawkins, évènement massif d’extinction déclenché par l’humain à l’ère de l’Anthtropocène ou précipitation de catastrophe environnementale majeure, asteroïdes géocroiseurs etc..). Il n’est pas responsable de laisser aux générations suivantes, qui auront bien assez de défis, tous les efforts que nous pouvons mener dès à présent. Et apprendre à vivre durablement sur une Planète peu accueillante, c’est clairement travailler pour un développement durable sur Terre (protection et gestion des ressources planétaires, énergies renouvelables, habitats autonomes, télémédecine, etc…).
L’exploration spatiale est le meilleur investissement de l’humanité pour notre vie sur Terre, où les retombées y sont déjà omniprésentes. En fait, ouvrir notre monde sur de nouvelles perspectives et certaines propriétés de l’infini transforme réellement les réponses à donner à toutes nos priorités sociétales qui tiennent trop souvent à un monde perçu à tort comme fermé (ressources limitées induisant conflits, compétitions, creusement des inéquités, repli sur soi, etc…). Cette transition nécessiterait d’être accompagnée par un véritable questionnement et les actions conséquentes dès à présent, sans plus attendre, selon le prisme que je souhaiterais bien ajouter à l’édifice collectif, que j’espère voir tendre vers cette dimension verticale et cette nouvelle perspective.
Les agences spatiales préparent l’exploration de l’Espace lointain surtout depuis les années 1990’ et les missions longue-durée (Poliakov, One-Year Mission, etc..), certaines initiatives privées (Mars Society par exemple) ou hybrides (Hi-Seas NASA, Concordia ESA, Mars 500 Roscosmos-ESA, etc…) mènent en parallèle des simulations analogues. Au-delà des missions spatiales et analogues de nombreuses données en psychologie sociale en environnement austère sont issues des hivernages polaires, sous-marins, forces spéciales, etc.. On construit toujours sur les épaules des géants.
Vous êtes médecin qualifié en médecine aérospatiale, pensez-vous que nous serons tous aptes à vivre sur mars en 2084 ? Pourrons-nous modifier nos qualités physiques et notre génétique pour espérer vivre mieux, et plus longtemps ?
Plus complexes que bactéries extrêmophiles, les véritables champions multicellulaires « physiologiques » de l’adaptation à l’Espace sont les Tardigrades qui supportent toutes les conditions spatiales (Vide, Radiations, Pression, Température, etc..). Nous les Humains dépendons complètement, comme sur certains endroits de la planète d’ailleurs, d’un système support-vie pour survivre dans de telles conditions. Mais justement, notre immaturité relative en tant qu’Espèce, qui nous a poussé à développer Technologie, mais aussi Fiction, Culture, Coopération, fait sans doute de nous la meilleure chance d’adaptation à une autre Planète de la vie consciente telle qu’on la connaît, et mon optimisme me fait penser que non seulement nous serons aptes à survivre mais aussi à vivre sur une autre Planète.
Au début de cette histoire, tout le monde ne sera pas apte : les pionniers ressembleront certainement plus à des « moines de l’Espace » ou à des nomades du désert qu’aux « Space Cowboys » des pionniers de l’Astronautique.
Si l’environnement, notre histoire, imprime depuis toujours une transformation continue de nos caractères physiques et de notre épigénétique, il apparaît en effet que nous sommes à un point d’accélération et l’élargissement du champ des possibles avec les technologies NBIC. Cependant, de mon point de vue, notre atout est de nature Humaine, pas « trans-humaine ». L’homme « augmenté » existe déjà d’une certaine manière, mais le transhumanisme naît à la fois d’une philosophie assez matérialiste selon laquelle des propriétés émergent de la complexité comme la conscience d’un réseau de neurones et l’intelligence artificielle forte du point de singularité d’une courbe IA exponentielle, de la recherche de résolution technologique à une angoisse existentielle, et d’une société de la performance. J’aurais plutôt tendance à voir des courbes « sigmoïdes » avec des marches à la place des exponentielles, une incomplétude de Gödel à la place d’une complexité déterministe, et préférer un Homme grandi à un Homme augmenté…
Quoiqu’il en soit, les années passant, nous assisterons certainement le même mouvement de démocratisation de l’accès à l’Espace que celui qui a eu lieu au siècle dernier dans l’aviation dont le monde spatial est l’extension. Toute une déclinaison d’expériences Spatiales pour le plus grand nombre sont en train d’émerger (vols zeroG, vols suborbitaux, vols orbitaux, hôtels en orbite, jusqu’au villages lunaires et Martiens à l’horizon évoqué). Si le prix du ticket est encore clairement prohibitif, celui-ci comme les critères d’inaptitude à de tels voyages, se réduiront de plus en plus au fil des décades. Ne pensons plus linéaire. Cette démocratisation de l’Espace en marche devrait être pensée aujourd’hui car elle contribuera à révolutionner le monde de demain, pas comme un présent continué géo-anthropocentrique mais bien comme un saut civilisationnel.
Sport, alimentation, méditation… Quels seront, selon vous, les moteurs de notre bien-être en 2084 ?
Notre bien-être, je le vois surtout comme la pleine conscience d’un alignement de 4 cercles dans ce que nous faisons: « je prends du plaisir à ce que je fais », « j’ai des compétences dans ce que je fais », « je peux m’y employer », et aussi « je contribue à mon échelle à changer le monde, vers l’idéal que j’en ai ». C’est l’Ikigaï des Japonais, pas très loin du « Purpose » entrepreneurial mais de recherche introspective plus profonde.
Le bien-être est aussi bien sûr sous-tendu par la perception d’une bonne santé, et il est certain que piliers les plus pertinents et naturels pour redevenir acteur de cette santé sont l’alimentation, l’activité physique et les états modifiés de conscience. L’alimentation est depuis toujours la première médecine et se décline aujourd’hui en macronutrition, micronutrition, chrononutrition, nutrition fonctionnelle, nutréomique. Elle suivra l’évolution de la médecine qui passe d’une « evidence based medicine » un peu réductrice à une médecine 4P (pour préventive, prédictive, personnalisée, participative) IA et Big Data-driven qui prend plus en compte la complexité que la causalité. J’entrevois une personnalisation fine et une sophistication de la nutrition qui ne devra pas oublier l’importance du plaisir, de la convivialité du partage de repas et de l’acte de cuisiner. Ceci rejoint tous ces états modifiés de conscience que beaucoup de cultures n’ont pas oublié de pratiquer et aux nombreuses vertus: méditation pleine conscience, autohypnose, cohérence cardiaque, son binaural, rêve lucide, jusqu’à la « sieste de travail »… L’activité physique, indispensable, est plus large que l’activité sportive ou la recherche de performance : elle peut d’ailleurs rejoindre une fonction méditative (marche, course à pied, etc..) et devrait autant que possible être complète et comporter des activités fonctionnelles en charge, posturales, cardio-toniques, endurantes, sur base régulière. L’activité artistique et créative est tout autant complémentaire.
Ces vecteurs sont déjà ceux du bien-être en 2018 et l’étaient il y a bien longtemps : l’histoire est souvent plus utile que la prospective pour anticiper le futur, et je pense que l’on retrouvera ces piliers encore plus étayés en 2084. Cependant le futur est souvent invraisemblable et la meilleure manière de le prédire reste sans doute de le créer ensemble !
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