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Lorsque l’on aborde le sujet de l’orientation, le premier constat est que s’orienter est une démarche à double niveau. Fondamentalement individuelle elle n’est cependant réalisable qu’au contact de différents acteurs. Au siècle dernier, dans le cadre d’une démarche intergénérationnelle, un adolescent accompagné d’un membre de sa famille pouvait faire le tour du village, découvrir différents métiers et s’inscrire en conséquence dans le cursus de formation choisi. Cette démarche était adaptée au choix d’un métier pour la vie dans un espace pour la vie. Mais les variables de cette équation ont évolué. Ainsi, la philosophie même du dispositif est passée de comment bien orienter l’élève à comment préparer l’élève à bien s’orienter.
L’orientation s’inscrit aujourd’hui dans un cadre scolaire et donc collectif qui mobilise de nombreux acteurs. Le parcours est jalonné d’étapes décisives et incontournables. Ainsi le ministère de l’éducation nationale considère que l’orientation se construit dès la classe de sixième et tout au long de la scolarité grâce au parcours Avenir, à un dialogue régulier entre les élèves, les parents, les enseignants, les conseillers d’éducation, la direction des établissements et les psychologues de l’Éducation nationale.
Cette mobilisation d’expertise est-elle réellement coordonnée ? Pourquoi au centre de ce carrefour d’informations, l’élève est-il si paradoxalement seul ?
Pourquoi après autant d’efforts un pourcentage important d’élèves se sentent ils mal orientés ?
Un parcours professionnel comprend aujourd’hui de multiples inflexions. L’orientation doit sortir des frontières d’un ministère. Il faut construire des ponts entre l’entreprise et les enseignants pour créer un effet démultiplicateur sur les élèves qui, de leur côté, ne doivent plus réfléchir uniquement en métier mais en compétences acquises ou à acquérir.
1/ Une démarche régulièrement revue depuis 100 ans.
Afin d’en mesurer les enjeux, il est impératif de comprendre l’évolution de l’orientation, d’en cerner les forces comme les faiblesses.
En 1919 les corporations qui assuraient la formation sont supprimées et la loi Astier crée l’apprentissage ainsi que l’office d’orientation professionnelle. Les élèves du primaire sont le public désigné. Les textes précisent le rôle de instituteurs, du médecin et d’un nouvel acteur : l’orienteur professionnel. L’utilisation des tests se développe et grâce au décret de 1938 est créé un centre d’orientation professionnelle par département et, en 1959, un centre d’orientation scolaire et professionnelle ainsi que la fonction de professeur principal. En 1970, l’ONISEP voit le jour et les centres deviennent des centres d’information et d’orientation.
En 1985, année charnière, apparaissent les points accueil information orientation (PAIO) et les missions locales. Grâce à la loi sur le titre de psychologue, la reconnaissance de la profession évolue et en 1990 les conseillers deviennent conseillers d’orientation psychologues. Cinq ans plus tard l’éducation à l’orientation entre dans les textes officiels. Avec la parution du programme des collèges qui crée l’éducation au choix, pour la première fois, l’orientation est présentée comme un objet d’éducation. Les missions des enseignants évoluent vers l’orientation et sortent du seul champ disciplinaire. Les conseillers d’orientation deviennent alors de vrais conseillers techniques auprès du chef d’établissement et des équipes. Au sein de ces dernières certains pensent qu’il faut bien orienter l’élève et d’autres qu’il faut préparer l’élève à bien s’orienter.
En juin 2010, les chefs d’Etat et de gouvernement ont adopté la stratégie “Europe 2020”. Ils ont décidé que la part des jeunes en décrochage scolaire devait diminuer d’au moins 10% d’ici 2020 à l’échelle européenne. Dans le texte, l’’orientation professionnelle est envisagée alors comme : « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation ».
Ce rapide panorama est révélateur d’une recherche permanente de l’institution pour trouver des solutions mais aussi de sa difficulté à ancrer des parcours stables, fiables et des référents solides.
2/ Le fonctionnement actuel
Aujourd’hui les intervenants sont nombreux et leur travail de coordination est essentiel.
On peut en effet citer :
– Les enseignants qui peuvent s’exprimer collégialement par le biais du conseil de classe, mais aussi lors d’entretiens individuels et suivre le parcours d’un élève tout au long de l’année.
– Les chefs d’établissement et le CPE qui ont une vision différente de l’élève, hors de la structure classe, et peuvent ainsi compléter les conseils donnés par l’équipe enseignante ou proposer d’autres pistes de réflexion.
– Le conseiller d’orientation psychologue (psy EN) qui accompagne dans les établissements les élèves de la 6eme au début de la vie professionnelle. Il exerce dans les établissements ou dans les CIO (centre d’information et d’orientation).
– Les parents qui s’informent et peuvent choisir de se fier à des sources extérieures à celles de l’école (coach par ex, selon le rapport du Cnesco publié en novembre 2018, un élève sur cinq aurait eu recours à un coach privé d’orientation et les sites de coaching en ligne se multiplient avec des tests d’orientation sensés dessiner le profil du lycéen et les choix qui correspondent.)
La réforme de 2017, prévoit deux professeurs principaux en terminale afin d’individualiser davantage l’accompagnement, en particulier avec Parcoursup. L’élève doit également bénéficier de deux semaines d’orientation dans l’année que l’établissement organise librement, une avant le premier conseil de classe en décembre et une autre avant le deuxième, entre janvier et mars.
Les établissements ont pu ainsi proposer différentes activités : des rencontres avec des professionnels ou des étudiants, des participations à des événements hors de l’établissement comme dans des entreprises ou des universités mais aussi des temps de recherche collégiaux avec les psyEN ou les professeurs principaux. Ainsi ces deux semaines sont essentiellement utilisées à la découverte de métiers ou d’études supérieures plus qu’à un travail de réflexion et d’élaboration d’un projet personnel.
N’oublions pas que le choix de l’orientation est donné aux familles, favorisant le dialogue et l’aide aux choix d’orientation.
Enfin Parcours Avenir qui court de la 6eme à la voie professionnelle est en place depuis 2015 et intègre l’orientation dans chaque discipline.
Afin de guider au mieux élèves et parents, le ministère de l’Education nationale a créé l’application numérique Horizons 2021 destinée à accompagner le lycéen dans son parcours en voie générale. Les enseignements de spécialité y sont recensés. L’élève peut tester des choix et découvrir quelles formations et quels univers métiers correspondraient à ces vœux de spécialité. Cet outil, essentiel, doit demeurer un lien de communication avec l’équipe enseignante afin de donner du sens et des réponses individualisées en fonction du profil de l’élève.
L’application propose de décrypter l’enseignement supérieur, de découvrir des professions au travers de fiches ou de tchats métiers. Elle incite aussi les lycéens à visiter les entreprises de leur région.
Malgré toutes ces actions et intervenants tout au long de la scolarité, un jeune sur deux estime ne pas avoir été bien accompagné, surtout les filles et les élèves en éducation prioritaire. Un élève sur cinq pense ne pas avoir eu de vrai choix à l’orientation. A l’université seuls quatre étudiants sur dix obtiennent leur licence, et le plus souvent en 4 et non 3 ans. Nombreux sont ceux qui se réorientent en cours ou en fin de première année de licence. Les élèves en enseignement professionnel rencontrent de grandes difficultés d’intégration dans leur milieu professionnel.
Plus généralement, toujours selon le rapport du Cnesco, 68 % des jeunes considèrent que l’orientation a été une source de stress. Seuls 57 % des jeunes de 18 à 25 ans avaient un projet professionnel au moment de faire leur choix d’orientation alors que le fait de se projeter dans un métier pourrait être un facteur à la fois rassurant, structurant et stimulant.
Enfin les critères de choix d’orientation semblent se faire en premier lieu en fonction des goûts personnels ou pour une discipline mais 71 % des jeunes affirment avoir repoussé d’eux-mêmes un vœu d’orientation qui les intéressait, le plus souvent pour des raisons de coût des études.
Le décalage entre l’investissement permanent de l’école pour trouver des outils utiles et l’insatisfaction d’un nombre important d’élèves pose question.
3/ Face à ce constat que doit-on mettre en place ?
A l’école, l’orientation est axée sur le choix d’un parcours scolaire et non pas vers le choix d’un métier ou d’une orientation professionnelle car les acteurs de l’orientation sont peu armés pour comprendre le monde économique.
La formation initiale de l’enseignant, par le biais de stages de formation et de stages en entreprises peut permettre une meilleure compréhension des attentes élèves ET des possibilités offertes par le monde de l’entreprise.
Cette formation initiale, commune à tous doit se poursuivre tout au long de la carrière de l’enseignant, informé des évolutions du monde du travail et de l’enseignement supérieur. Cela peut s’envisager sous la forme de rencontres avec des universitaires pour discuter des attentes de ces derniers, de stages en entreprises …
L’utilisation d’outils numériques comme des kits pédagogiques qui offrent à ses utilisateurs une exploitation structurée, riche et facile d’accès est précieuse dans la mesure où elle permet à l’enseignant de s’appuyer sur un support fiable et pratique.
L’interaction grâce à ces nouveaux outils est un excellent moyen de rendre l’enseignant et l’élève acteurs ensemble.
En effet une des difficultés est de convaincre les enseignants que cette aide à l’orientation ne va pas être un poids, des heures prises sur les heures de cours, du travail supplémentaire mal défini et dont personne ne verrait les effets et les résultats.
Cela passe nécessairement par une véritable coordination entre les chefs d’établissement et les enseignants et au sein même des équipes pédagogiques. Si la charge incombe uniquement au professeur principal, cela ne réglera rien. Le chef d’établissement doit s’impliquer concrètement et donner l’impulsion, la direction à ses équipes. Chaque établissement peut alors construire son parcours d’orientation suivant le public, la géographie et les atouts environnants, comme par ex les entreprises locales. Il est à noter que de nombreux chefs d’établissement se disent mal formés à ces outils d’orientation. Or un pilotage efficace des équipes est indispensable.
Il est précieux pour un établissement de construire un réseau qui permette d’enrichir les parcours des élèves et de leur proposer des ouvertures fructueuses sur le monde extérieur qui doivent être concrètes, préparées et régulières, comme un véritable partenariat. On peut l’imaginer avec un certain nombre d’entreprises publiques ou privées assez proches géographiquement du lycée qui s’engagent à intervenir dans les établissements, à proposer des stages aux enseignants ET aux élèves.
En effet pour que l’orientation soit utile à l’élève et motivante pour l’enseignant, elle doit être active, s’inscrire dans une perspective longue mais souple avec des changements possibles de parcours à certaines étapes de la scolarité. Il faut donc qu’au-delà de la simple information, toujours indispensable, sur les études supérieures, l’élève puisse comprendre à quoi son choix d’études peut aboutir. Cela doit être explicité et la rencontre avec le monde du travail, bien préparée et renouvelée régulièrement au long de la scolarité peut y aider efficacement.
Conclusion
Le chefs d’établissement en tant que président des conseils de classe et pilote de son établissement, est le chef d’orchestre de cette orientation. Il doit pouvoir guider et réunir ses équipes autour de ces thématiques, organiser les rencontres avec des chefs d’entreprises, inviter les parents à des forums, imaginer des agoras où les élèves, des spécialistes de l’orientation (un enseignant par ex), des chefs d’entreprise et des employés de l’entreprise échangent pendant une demi-journée de façon libre sur les réalités des métiers de l’entreprise en question.
De leur côté, les entreprises doivent prendre conscience des enjeux à recevoir des enseignants, des jeunes élèves en formation en recherche de repères. Elles doivent pouvoir proposer des immersions réfléchies et constructives qui permettent à l’élève de s’informer, de comprendre et donc de choisir.
Les entreprises doivent particulièrement réfléchir à ce qu’elles attendent d’un travail sur l’orientation et infléchir leurs modalités de stages, les rendre efficaces, utiles. En ce sens, il serait profitable que ces modalités soient à nouveau totalement revues et repensées en collaboration avec l’école.
Qu’est- ce qu’un stage en entreprise ?
On peut l’envisager comme une immersion et un questionnement. L’élève doit concrètement être accompagné par l’école, qui aura donc réfléchi aux modalités à mettre en place pour faire de ce temps de stage un outil et un atout. L’élève doit pouvoir s’immerger dans le monde du travail, voir comment il est organisé au quotidien afin d’être au plus près des réalités économiques ou sociales. Il réfléchira ainsi à partir de ce qu’il observe et construira lui-même des liens entre les informations qu’il aura recueillies. Actif, en éveil, il liera au mieux ses aspirations personnelles et ce qu’il observe.
Qu’en attend l’élève ?
Il attend du SENS au regard de valeurs collectives (en quoi ce méfier est –il utile ?) et individuelles (ce métier est-il en adéquation avec mes convictions ?) Ce questionnement, essentiel, est trop souvent négligé par les interlocuteurs du stagiaire. Il est avéré que le fait de cibler un métier précis lors de l’orientation est un élément stimulant et rassurant pour l’élève. Le stage peut conforter ce choix et donner davantage confiance pour construire le parcours adéquat.
Comment cette expérience va-t-elle être réinvestie en classe par l’enseignant au bénéfice de tous les élèves ?
Elle peut être réinvestie collégialement, par des captations de vidéo prises lors du stage et regroupées dans une banque de données par métier, des exposés ou des jeux de rôle au sein de la classe reprenant les différents métiers rencontrés.
Elle peut être exploitée dans différentes disciplines, en histoire ou en économie par exemple pour mieux appréhender les contextes socio-économiques, mais aussi en sciences, en littérature comme en philosophie à travers des textes théoriques apportant un éclairage essentiel à l’expérience vécue par l’élève et lui conférant ainsi plus de sens.
Le professeur d’orientation est un nouveau partenaire dont les missions sont à construire, un acteur clé si la réforme veut répondre aux enjeux de société qui sont face à nous.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Laurence Berody, inspectrice de Lettres et membre de l’association Rencontres Entreprises Enseignants.
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